Au jour le jour

Mars, Avril… 2020

roland.goeller@hotmail.com

 

 

15 mars_J-2

L'épidémie due au virus porte le nom de Covid-19, comme un modèle de voiture mis sur le marché. Quand cela a-t-il commencé ? Il est impossible de dater les événements. Quand tout sera fini, il ne manquera pas de statisticiens et de bavards médiatiques pour caractériser le phénomène, émergence, progression, propagation, contagion et symptômes…, et prodiguer les conseils qu’il aurait fallu suivre. Quand le lion est tué, il ne manque jamais de braves pour lui arracher la peau, dit un proverbe turc. En attendant, il convient de faire face avec les quelques outils, en nombre insuffisant, que nous nous sommes constitués (masques, respirateurs artificiels, système de santé où les technocrates ont pris le pas sur les médecins et où le traitement administratif est plus long que la consultation), mais surtout avec notre bon sens et notre intuition. Deux denrées dont la rareté détermine le prix. Mais bon sens et intuition ne sont jamais que la condensation, dans nos esprits, du tropisme en vigueur, celui de la représentation communément admise du monde. L’efficacité de notre bon sens et de notre intuition sera confrontée au réel et il sera possible de mesurer l’écart entre celle-ci et le monde lui-même. Mesurer et entreprendre les corrections nécessaires. Les cartésiens seront mis au pied du mur de leurs certitudes, eux qui prétendent fonder la philosophie sur le doute. L’abolition des périmètres, des hiérarchies, des adoubements, des frontières, etc. ne marche qu’un temps. L’entropie n’est que le consentement au désordre. Quand les esprits sont déconstruits (avec l’aide des apprentis sorciers de la déconstruction que l’on voudra bien qualifier pour ce qu’ils sont), il ne reste que l’individu et les hommes, l’un et l’un saturés de droits et d’exigences, inconscients cependant des devoirs (lesquels ne sont pas abolis) qu’ils ont envers le groupe, la famille, la nation qui ne cessent de les nourrir. C’est peut-être la question sur laquelle nous aurons à nous pencher, lorsque le virus nous laissera un répit. Nous avons organisé la globalisation et l’interdépendance générale. Le virus nous aime pour cela, il se propage dans les soutes de nos aéronefs intercontinentaux. Je reviens de façon récurrente au personnage de Robinson Crusoë, lequel, échoué, seul, non connecté mais autonome, restera imperméable au virus. Il y a encore à apprendre de Jonathan Swift.

 

 

 

16 mars_J-1

J’habite dans un quartier de la zone périphérique d’une métropole, une maison avec un petit jardin où poussent quelques arbres fruitiers et fleurissent quelques bosquets (Tout le monde n’a pas cette chance). Lorsque le ciel est sans nuages, les couleurs florales chantent et il est difficile de se représenter la réalité de la pandémie. Sur la route passent des voitures en nombre réduit. La petite supérette où je vais m’approvisionner connaît une fréquentation élevée et il n’est pas rare de croiser un chariot chargé à refus. Quant aux rayons, certains sont dévalisés, le mot n’est pas usurpé. Le virus est partout mais, imperceptible, nul ne sait s’il est déjà à l’œuvre en lui-même. La précaution de distanciation sanitaire n’est pas encore systématique, il n’est pas rare que, dans une file d’attente, les personnes entrent en contact les unes des autres. Même si les quais bordelais étaient noirs de promeneurs le week-end dernier, je m’oblige à rester à distance. Le monde se rétrécit aux dimensions de ma maison, de mon parcours de promenade et de la supérette où j’espère trouver les produits de première nécessité. La rumeur, elle, enfle en proportion inverse. Les experts se succèdent derrière le petit écran mais bien malin celui qui détient une vue exhaustive, quand bien même d’aucuns se poussent du col. Le virus est partout, imperceptible, mais une réalité statistique se dégage peu à peu : les capacités hospitalières en lits avec respirateur sont très inférieures aux prévisions de personnes contaminées. D’où le confinement prévisible, avec tout ce que cela suppose. Malgré l’amortissement du choc sur le système de santé, il n’en reste pas moins que de nombreuses épées de Damoclès restent suspendues au-dessus de nos têtes. Le Titanic a appareillé avec une capacité de canots de sauvetage inférieure au nombre de passagers embarqués, des bassesses ont eu lieu pour s’emparer des places théoriquement réservées en priorité aux femmes et aux enfants. Et l’on sait déjà aujourd’hui que les 12 000 lits disponibles ne pourront pas accueillir tous les malades que le virus aura infectés. A l’évidence, une boîte de Pandore a été ouverte, un virus en est sorti et, depuis, all the devils are here !

 

 

17 mars_Jour J

La vie s’arrête et, pourtant, la vie continue. Pour évoquer les situations habituelles et ordinaires, nous faisons usage d’un langage élémentaire où les lieux communs le disputent aux mots valises, dans des expressions dont le sens est entendu sans qu’il soit nécessaire d’en dire plus. La vie s’arrête. Les voitures ne circulent plus, les piétons ne passent plus dans la rue, les magasins sont fermés… mais la vie n’en continue pas moins, soudain débarrassée de tout ce qui l’encombrait et dont l’inanité nous apparaît presque autant que le manque. Le confinement commence à midi. Je profite de la matinée qui reste pour faire quelques emplettes de fruits et légumes. Devant la supérette s’allonge une file d’attente, les gens sont résignés, seules quelques rares personnes manifestent leur impatience. Le soleil perce les nuages. De retour,  je retrousse les manches et me mets à préparer la terre. Il me reste un lot de petites pommes de terre germées, impropres à la consommation, et, à défaut de plants nouveaux, je les mets en terre. Quelques-uns finiront bien par prendre. Il n’est pas midi, et il me semble disposer de beaucoup de temps avant la fin du jour. Tout ce temps sans urgence !

 

Hier soir, après la conférence présidentielle, je suis resté devant la télévision, à savourer l’extraordinaire Tempête à Washington, tourné, en noir et blanc, par Otto Preminger en 1962.

« Nous ne pouvons pas nous conformer aveuglément aux principes périmés du passé quand nous voyons que ces principes constituent un obstacle au travail positif axé vers la paix. » Ainsi s’exprime l’un des sénateurs de la commission chargée d’examiner la candidature de Mr. Leffingwell (Henry Fonda) au poste de secrétaire d’État sur proposition du Pdt des États-Unis. Mais nous sommes en plein maccarthysme (Otto Preminger tourne le film en 1962) et la candidature du progressiste Leffingwell ne fait pas l’unanimité en raison des soupçons d’anciennes accointances communistes qui pèsent sur lui. Le grief est mince, sibyllin. Il fait songer au motif de La Plaisanterie de Kundera : lassé par l’inertie et l’absence d’humour de la trop prude Marketa, le provocateur Ludvik lui envoie une carte postale avec ces mots « L’optimisme est l’opium du peuple ! L’esprit sain pue la connerie. Vive Trotski ! ». Nous sommes dans la Prague des années cinquante et la plaisanterie de Ludvik lui vaut la convocation de la part des Pharisiens, le renvoi de l’université et la mise au pilori. Le péché de jeunesse (avéré) de Leffingwell lui vaut les mêmes menaces, d’autant plus que le vieux sénateur sudiste et conservateur Cooley (joué par un Charles Laughton impérial) va tout faire pour invalider cette proposition. Leffingwell réussit à discréditer le pâle témoin produit par Cooley, lequel parvient néanmoins à convaincre Leffingwell de mensonge devant la commission (dépositions sous serment). Le chef de la majorité, le sénateur Munson (Walter Pidgeon, manipulateur) demande toutefois au Pdt de la commission, l’ambitieux Anderon (Don Murray) de passer outre. Ce dernier refuse cependant de rentrer dans les petits arrangements et décide, seul, isolé, de continuer à jouer les chevaliers blancs. C’est toute la question de l’éthique et des apparences en politique. Voire de l’habeas corpus : déclarez ce que vous voulez, aussi longtemps que vous pouvez le soutenir et que personne n’infirme vos dires ! Leffingwell, jeune, a prêté oreille aux sirènes rouges, mais est-il pour autant marqué à vie ? Anderson feint de le croire à cause du parjure mais lorsqu’on veut faire la leçon aux autres, il faut être blanc soi-même. Anderson ne l’est pas, non qu’il ait commis quelque crime, mais, jeune, il eut une liaison homosexuelle, ce qui, dans l’Amérique des années soixante, est aussi grave que d’avoir été communiste.  Preminger cependant campe Cooley en vieux grincheux sympathique et il n’est pas certain qu’il désavoue ce dernier lorsqu’il lui fait dire :

« Anderson : Mr. Leffingwell, croyez-vous mauvais, par exemple, que l’on mette en doute la bonne foi des communistes après plus de quarante ans d’imposture ?

     Leffingwell :  Tout peut changer. Je crois qu’on peut sans danger supposer qu’il y a quelquefois un désir de paix de la part du monde communiste.

     Cooley : En se fondant sur quoi, monsieur le Président ? Qu’espèrent-ils obtenir ces rêveurs, ces bons apôtres, ces incurables optimistes ? »

 

Du très grand Otto Preminger !

 

 

 

18 mars_J+1

The hell is empty, all the devils are here ! (Shakespeare, The Tempest)

Le contexte virtuel se développe au détriment du monde réel, lequel se rétrécit aux dimensions du domaine à portée de self-autorisation, d’Ausweis. Le monde me parvient désormais presque exclusivement par les écrans, dans sa forme virtuelle. Ainsi m’est tombée sous les yeux une vidéo qui prétend établir un rapport entre le Covid-19, l'épidémie due à notre ami le virus, et un brevet, français, déposé sous le code EP 1 694 829 B1. Je précise d’emblée que je ne dispose pas de la culture scientifique et biologique, les fameux prérequis du management anglo-saxon, pour en saisir la substantifique moelle. Je suis dès lors un néophyte par rapport à ce genre de document, un idiot au sens qu’en donnait Dostoïevski. L’idiot que je suis n’en est pas moins interpellé par ce document et ce qu’il suppose, et je vais tenter d’en donner une formulation. 

La personne qui commente la vidéo me semble néophyte au même titre que moi-même. Je ne suis pas certain, du reste, malgré ses allégations, que le brevet mentionné ait un rapport avec le Covid19. Ce qui me paraît acquis en revanche : il existe (dans le monde, à Wuhan en Chine, à Lyon en France) des laboratoires référencés P4 où sont cultivées des souches virales extrêmement dangereuses. Ces souches font l’objet de recherches en laboratoires à des fins, soi-disant, thérapeutiques. En effet, nous dit-on, la nature regorge de souches virales nocives et létales, et les chauve-souris en seraient des porteurs de prédilection. Tentons un raccourci : le Covid19 est cultivé parce qu’il y a(aurait), dans la nature, des souches plus dangereuses encore, mais il y aurait eu une rupture dans sa chaîne de confinement, une perte de contrôle, une fuite, à la suite de laquelle le virus censé alimenter la thérapie se serait répandu de façon inamicale.

Le virus est là, c’est un fait. Il est létal, c’est un autre fait. Mais je suis amené à échafauder d’invraisemblables hypothèses quant à son élevage et les raisons de celui-ci. Je m’appuie pour cela sur toutes les contributions expertes dont les médias ne cessent d’abreuver les idiots tel votre serviteur, et ce dernier est soudain pris d’un gros doute cartésien. Dubito ergo sum. En d’autres termes, les chauve-souris sont-elles responsables de l’élevage des virus que les philanthropiques laboratoires combattent à l’aide de souches thérapeutiques, ou bien, à l’inverse, a contrario, umgekehrt, les chauves-souris (pauvres bêtes) sont-elles responsables de la propagation de souches virales produites, ex nihilo, ex abrupto, voire sui generis, dans des labos (pas du tout philanthropiques) mais échappées à la chaîne de contrôle censée en assurer le confinement ? Le dilemme, avouons-le, est cornélien. Il ne manquera pas de hanter mon esprit (d’idiot) et le tien (cher lecteur) pendant les semaines à venir.

Cependant, je doute de plus en plus des gens qui :

-        prétendent savoir et m’instruire,

-        savent une partie de qu’il y a à savoir mais distillent cette partie avec la suffisance de qui croit détenir assez de pouvoir pour en imposer,

-        savent des choses mais se taisent (cf, l’ex ministre de la santé, Agnès Buzyn, laquelle savait dès le mi-janvier mais n’en a pas moins rassemblé des centaines de personnes, à Paris, tout en sachant qu’elles se contamineraient diablement les unes les autres)

-        ne savent rien mais prétendent savoir quelque chose

-        s’installent devant une caméra et croient devoir débiter autre chose que leur intime conviction.

Je suis envahi par une colère qui ne s’apaisera qu’en marchant. Je me dépêche de remplir un bon de déplacement (pendant que j’en ai encore le droit et en priant que la common decency ne soit pas totalement dilapidée en ce bas monde). La ville est déserte, les bus urbains sont vides, les voitures se font rares sur la route de Toulouse, l’un des axes d’entrée de la métropole par le sud. Il y a quelques jours encore, le bouchon de l’heure de pointe de soirée avait déjà commencé. Il n’y en aura pas aujourd’hui.

 

 

 

19 Mars_J+2

Notre pays – je n’ose plus dire nation, ce mot ne signifie plus rien pour un trop grand nombre d’habitants - est menacé d’agonie. Le gouvernement mène une intense campagne de communication autour des mesures prises le 17 mars – pour une durée de deux semaines – en cherchant à installer dans les esprits la conviction qu’elles seront suffisantes et en attirant l’attention sur l’instant – le spectacle de l’agitation au sommet de l’état - au détriment du moyen terme. D’ici un mois, un mois et demi, nous reprendrons une vie normale, telle est la philosophie qui inspire la communication. La réalité hélas semble plus sombre. Dans une vidéo qui tourne sur FB, le Dr Philippe Klein, de l’hôpital international de Wuhan, insiste sur deux mesures grâce auxquelles les Chinois ont réussi à endiguer la pandémie. Des mesures selon lui, impératives, et il n’y a pas lieu de douter de ses recommandations. En premier lieu, une discipline collective de confinement quasi absolu, en second lieu, l’impérieux isolement des patients contaminés. Nous n’obtiendrons pas la première, notamment dans les quartiers perdus de la république, mais pas seulement, et nous n’avons pas les moyens de réaliser la seconde, nous manquons de masques, de tests et de respirateurs. De surcroît, nous ne disposons plus des secteurs industriels – la globalisation et sa sœur cadette, la délocalisation, ont été particulièrement actives en notre pays – pour reconstituer les ressources dans des délais courts. Cela signifie que les mesures devront être reconduites, au-delà sans doute de la période maximale que peut supporter une économie avant d’être durablement désorganisée. Cela signifie qu’à un moment donné – c’est une question de mois – chacun dans ce pays verra midi à sa porte et se dira, chacun pour soi !  J’en arrive à me demander s’il ne vaudrait pas mieux cesser l’état de confinement et laisser tourner l’économie et proliférer la pandémie. Cette dernière tuera certes deux pour cent de la population mais les autres seront définitivement vaccinés et nous échapperons à la désorganisation. Hélas, au pays des droits de l’homme, on n’acceptera pas d’en sacrifier un seul, raison pour laquelle on préfère prendre le risque de laisser s’installer le chaos que l’on feindra de maîtriser au jour le jour, et lequel touchera bien plus que deux pour cent ! Notre pays est menacé d’agonie et le virus n’est que le facteur déclenchant. Mais il s’agit là de raisonnements dignes du Dr Folamour et je ne souhaite rien d’autre que mes propos soient invalidés par la réalité.

 

Leïla Slimani confie au Monde ses états d’âme de confinée dans un cottage normand où rien ne manque, la petite chérie ! Le Monde s’empresse de faire un papier sur son art de prendre son mal en patience et, accessoirement, de présenter son prochain livre. Il n’y a pas de petits profits. L’absence de vergogne est la vertu la mieux partagée. Les Parisiens confinés dans les appartements exigus sont de tout cœur avec la romancière. Le sont-ils avec Agnès Buzyn, ex-ministre de la santé, ex-candidate malheureuse à la mairie de Paris ? Son repentir serait à examiner avec indulgence si, complice de la désinvolture gouvernementale face à la crise sanitaire – qui ne dit mot consent – les contaminés par centaines consécutifs au retard des mesures ne réclamaient pas justice. Mais justice sera-t-elle rendu ? Le Roi est mort !

 

Que pense de tout cela ma mère âgée de 88 ans ? Qu’il vienne toujours, semble-t-elle dire à propos du virus, barricadée derrière ses conserves et ses stocks de bois, de pommes de terre, de confitures et de pelotes de laine dont elle fait des courtepointes. Elle se pliera, j’en suis certain, aux précautions d’usage, même si, traversant la rue, elle ne pourra pas s’empêcher d’accoster ses voisines. Ma mère est incorrigible. Elle habite dans le Piémont vosgien, une terre où le virus a déjà établi de solides quartiers. Elle a fait son temps, estime-t-elle, riche de chaque heure que le Seigneur lui accorde tel un surcroît. Elle s’inquiète pour mon père, grabataire à l’EHPAD voisin. Les visites quotidiennes sont désormais suspendues. Le comprend-il, lui qui n’a plus qu’elle ? Hier, l’aide-soignante qui se charge de mon père a prié ma mère de garder le téléphone à proximité. Ainsi une conversation a-t-elle pu se nouer. Mon père a été instruit de la situation. Il comprend les choses, il recommande à ma mère de prendre soin d’elle et attend son retour lorsque les jours seront à nouveau meilleurs. Les reverrai-je ?

 

 

 

21 mars_J+4

Le destin nous échappe, mais en avions-nous la maîtrise ? Dans le court terme, nous sommes confinés, sous-informés, subordonnés à des processus qui ont resserré leurs mailles autour de nous. Auparavant, nous savions faire des projets à un mois, dix mois, trois ans voire plus. Nous pensions avoir mis sous contrôle la plupart des paramètres et, sauf cas de force majeure – selon l’expression consacrée -, nous parvenions à réaliser ce que nous avions projeté. A présent, les échéances sont considérablement réduites, à peine savons-nous dire de quoi après-demain sera fait. Nous sommes, soudain, semblables à des souris dans un labyrinthe sans indications de direction et sans savoir quels parcours conduisent aux impasses. Dans le court terme ! Mais dans le long terme, le destin ne fait que nous échapper un peu plus. Les paramètres que nous mettons sous contrôle sont à occurrences rapprochées, ceux qui s’inscrivent dans les cycles quotidiens ou lunaires, les saisons… Nous ne prenons pas en compte les autres paramètres parce qu’ils ne se manifestent pas souvent, alors nous les oublions, nous pensions qu’ils sont sans effet sur nos destinées. Les Indiens Iroquois n’avaient pas cette vanité, eux qui déplaçaient leurs campements en nomades attentifs aux signes, se gardant de toute demeure de pierre qui eût pu leur donner l’illusion de la permanence. Le destin nous échappe, Dieu reprend la main, mais Dieu ne reprend rien du tout. L’une de ses manifestations s’est contentée de se rappeler à nous, soit que des virus jusque-là inactifs soient sortis de leur léthargie, soit que l’excès de population n’ait généré des promiscuités insoutenables, soit que des apprentis-sorciers hors contrôle n’ait commis quelque sacrilège, soit que les hiérarchies traditionnelles aient été imprudemment abolies…, nous ne sommes pas encore en mesure de savoir. Nous le saurons cependant, peut-être à nos dépens, une Divine Providence nous en montrera le chemin. Le droit chemin.

 

 

 

22 mars_J+5

Entropie, désordre, chaos…,

Ne sont que représentations de l’esprit. N’existent pas en tant que tels. N’existent que par le truchement de notre conscience, en dehors de laquelle il n’y a ni langage, ni représentation du monde, ni souffrance liée à la perte et à l’impermanence de ce que nous souhaitons permanents. Si nous n’existions pas pour nommer les choses qui se produisent, il n’y aurait ni accident, ni catastrophe, ni pandémie, ni météorites Armageddon, ni... Il y aurait des émergences, des périodes de calme apparent, puis, soudain, des bouleversements d’où sortiraient de nouvelles émergences, comme si Dieu, de temps à autres, prenait la Création entière entre ses mains et la secouait pour des raisons incompréhensibles qui n’appartiennent qu’à lui. Mais cette image d’un Dieu secouant sa Création n’est encore qu’une représentation, car Dieu, c’est bien connu, n’existe pas, il se contente d’être une fois pour toutes et de se manifester par toutes sortes d’apparitions que notre vanité (orgueil ?) nous empêche d’interpréter comme il se doit. Dieu se trouve même en nous, nous étant plus proche que notre veine jugulaire, sauf en notre conscience où il répugne à exister, notre espace de liberté en lequel nous avons toute latitude pour nous incliner ou pour blasphémer, même pour croire qu’il n’a aucune réalité (alors même qu’il est confondu avec la réalité) !

Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que, parfois, notre conscience éprouve le sublime de la sonorité signifiante d’un poème, de la saveur enivrante d’un vin, ou de l’odeur envoûtante d’une femme, lesquelles ne sont que les clins d’œil par lesquels Dieu nous dit, bande de connards, qu’est-ce que vous vous faites chier avec vos réalités virtuelles, sans odeur, sans saveur et sans musique !

 

 

Vers quel nouveau monde allons-nous ?

Je me tiens informé de ce qui se dit à charge et à décharge, cherchant, par des itérations successives, à corriger les approximations et erreurs qui se répandent et à me faire une représentation la plus juste possible. Mais il est une chose que je crois avoir compris : les coronavirus sont parmi nous désormais, ils se sont assis à la grande table du banquet et se promettent de muter sans cesse pour mieux dissimuler leur présence et nous jouer des tours. Nous avions appris à prendre en compte les épidémies de grippe hivernale, nous devrons désormais craindre, que dis-je, redouter les épidémies de coronavirus. Nous évoluerons dans un milieu plus hostile, il ne sera pas rare de croiser des personnes qui portent un masque de protection, voire une combinaison. Les gestes de bienvenues telles les poignées de main et les embrassades se feront rares. Il se produira une sorte de contraction, de frilosité générale qui cartographiera très vite des lieux clean et d’autres où cela craindra, comme disent nos cadets. Nous reviendrons aux infra-mondes que décrivaient Dickens et Victor Hugo, sous une forme d’insalubrité inédite. Dans le cours de mon activité professionnelle, j’étais en charge de questions de transport et de mobilités et, très vite, j’eus la conviction qu’il était de l’intérêt du bien public de privilégier le local au détriment du national ou de l’international. Le pays étendait son réseau TGV vers Strasbourg, Bordeaux, Nantes, etc, mais laissait dépérir les petites lignes qui permettent aux habitants des zones périphériques de se rendre dans leurs métropoles de province. « La lecture est un miracle de la communication par la solitude », disait Marcel Proust dont j’adaptais la citation en remplaçant  « solitude » par « immobilité ». J’eus droit à des sourires condescendants, je ne m’inscrivais pas dans le main stream des univers ouverts, connectés, interconnectés, nowhere. Toute littérature non enracinée me paraissait déjà – et d’autant plus maintenant – sujette à caution. J’évoque ces questions de proximité et de territoires car la crise sanitaire qui nous touche et nous invite au confinement, à remettre des limites, des frontières qui certes contrarient la libre circulation des biens et des hommes, mais aussi celles des maladies et des virus. A redéfinir des territoires autonomes, circonscrits à l’intérieur desquels il n’est pas nécessaire d’attendre qu’une lointaine Chine produise les outils et médicaments dont on a besoin. Ces limites et frontières ne restreignent en aucune façon notre curiosité intellectuelle et artistique et, si d’aucuns d’entre nous ne pourrons plus voyager dans le vaste monde à grand renfort de CO2 et de promotions-pension-complète, au moins pourrons-nous réinvestir nos territoires délaissés. Emmanuel Kant naquit, vécut et mourut à Königsberg – aujourd’hui Kaliningrad, sans jamais s’en être éloigné. Cela ne l’a pas empêché de faire progresser le génie mathématique et la réflexion philosophique et de découvrir l’un des satellites de Jupiter. Georges Brassens, grand poète, a eu la curieuse idée de se moquer des imbéciles nés quelque part. Si aimer le pays qui nous a vu naître et en faire le centre du monde relève de l’imbécilité, alors je revendique celle-ci (en ce qui me concerne, ce pays se nomme Rhénanie Supérieure, ce n’est pas un pays au sens où on l’attend habituellement, mais c’est mon pays). Les mobilités constituaient l’objet de ma première vie active, la littérature en constitue la seconde, et la crise sanitaire qui nous touche n’est pas sans effet sur cette dernière. Il nous appartient désormais de repenser la littérature, ses thèmes, sa diffusion, sa lisibilité, son accessibilité (au sens de se mettre à portée), son éclipse par d’autres champs qui ne sont pas ce qu’ils prétendent (faut-il les nommer ?). Homère était un rhapsode, son chant a traversé les siècles, que dis-je, les millénaires. Ismaïl Kadaré et Ivo Andric évoquent les conteurs qui, il n’y a pas si longtemps encore, parcouraient un territoire, de village en village, enrichissant chaque soir le poème qu’ils déclamaient devant une foule muette. Nous devrons nous laver les mains désormais, très souvent. Nous aurons aussi à nettoyer la littérature de tout ce qui l’encombre. Il conviendra sans doute que les best-sellers soient à nouveau issus et nourris par une littérature, populaire, narrative, contée et conteuse, à réinventer. L’autofiction a certes produit ses lettres de noblesse mais elle a permis aussi de nombreuses proses qui relèvent de la plaidoirie de prétoire ou du cours de la justice. Trop de prétendus écrivains ne font que régler des comptes à longueur de pages. La littérature continue de produire des pépites mais elles se perdent dans les boues du bavardage. Dans le monde qui nous attend, lorsque nous oserons à nouveau nous approcher les uns des autres et nous étreindre, l’hybris et la dilapidation devront le céder à la sobriété et au retrait. Et les longues soirées que la télévision a peuplé de chimères seront peu à peu restituées au silence propice aux paroles vraies.  

 

 

 

25 mars_J+8

Faire les courses prend des allures cérémonieuses, à la manière de celles qui, au Japon, entourent le service du thé. Porter un masque, éviter les allées où d’autres personnes sont en train de se servir, empaqueter du bout des doigts les fruits et légumes, garder dans la file d’attente une distance d’au moins un mètre avec la personne qui précède, éviter de porter les mains au visage, se rappeler les vêtements qui ont pu être en contact  Chaque geste doit être décomposé, conscientisé diraient d’aucuns dans leur sabir approximatif, pour identifier les liaisons dangereuses, les points de contact où la contamination est possible. Ce n’est plus seulement une attention de chaque instant, mais aussi de chaque mouvement. Les gestes en deviennent solennels comme au cours de la cérémonie du thé où chaque étape répond à une codification stricte. Il y a un bonheur à emprunter des chemins de traverse, buissonniers, il y en a un autre à suivre les cérémonials et les rites.

Cette longue pratique de l’écriture me détache peu à peu d’une certaine nécessité de vivre dans l’action. Dans la mémoire prennent place les récits d’événements que j’ai vécus et d’autres, que j’ai seulement racontés, et ces derniers n’en sont pas moins sensibles et vivants dans le grand mouvement qui conduit l’esprit vers son destin.  

 

 

 

27 mars_J+10

Se trouve-t-il, au sein des autres peuples (pour peu que ce mot ait encore un sens) des gens pour appeler la police et dénoncer tel voisin qui enfreint de façon marginale les règles de confinement en recevant des visites sur un mode festif (lorsqu’ils ne s’enquièrent pas de la mise en place d’une prime pour dénonciation) et d’autres pour coller sur la porte de tel personnel soignant un papier, anonyme, priant ce dernier de ne plus toucher les poignées de porte, voire déménager en attendant la fin de la pandémie (variante : vandaliser la voiture avec laquelle le soignant se rend chez des malades) ? Il s’en trouve, précisément, dans celui dont je suis censé faire partie et cela me remplit de colère et de honte. Car ce sont les enfants et petits-enfants de ceux qui, sous le régime de Vichy entre 40 et 45, ont dénoncé des juifs, des maquisards, des voisins envers lesquels ils exerçaient une vengeance… les archives préfectorales regorgent de cartons de lettres de dénonciation que la prescription séculaire tient confinés. Soigneusement balayés sous le tapis. Les écuries d’Augias de ce pays sont plus crasseuses qu’on ne pense ! Que d’infamie !

 

 

 

29 mars_J+12

« Les hélicoptères d’Alsace-Moselle ont remplacé les taxis de la Marne » (Christophe Barbier).

Les journalistes atteints de corona-hybris ne savent plus quoi inventer pour capter l’attention.

 

Dans une publication Fb, une amie remarque que les propos de libre-expression, non polémiques, font moins souvent mouche que les billets d’humeur. En ces temps de confinement, Fb reste l’une des agoras résiduelles, quoique virtuelle. Les coqs s’y donnent rendez-vous, qui poussent leurs cocoricos plus forts les uns que les autres. La plate-forme de partage est gangrenée d’hybris, peut-être parce que le seul partage qui vaille est physique, dans la proximité où l’écoute se régule par le respect que, naturellement, les interlocuteurs en présence s’accordent les uns les autres. Il n’y a pas de respect sur Fb. Il n’y a que péremptoires prises de position de la part de sachants, appartenant à des coteries, voire autoproclamés, lesquels ne supportent pas la contradiction. Peu à peu, Fb prend des allures de Tour de Babel, dans les derniers temps de sa construction, lorsque chacun élevait la voix pour se faire entendre et que personne n’était plus écouté.

L’incipit d’un profil sur Fb : Who says that my dreams have to stay just my dreams ? Qui est la personne à qui appartient l’incipit ? Une jeune athlète dont quelques proches et fans attendent les publications médiatiques qu’ils s’empressent d’applaudir. Une jeune fille qui dit, j’existe, regardez, j’ai des rêves. Le malheur, c’est que tout le monde a des rêves.

 

Pandémie : Une infirmière a été agressée au couteau à Heillecourt (Meurthe-et-Moselle) jeudi 26 mars 2020. Deux jeunes ont simulé être malades, pour attirer l’infirmière et s'enfuir avec son stock de masques (15), rangé dans sa voiture. (FR3Alsace) 

A l’inverse, arrivent des témoignages où il apparaît que des personnes âgés, atteintes par le virus et informées de l’état de sous-équipement des hôpitaux, ont pris la (courageuse) décision de céder leur tour de respirateur à plus jeune qu’eux !

 

Je veux à présent relater une polémique dans laquelle je suis entré, bien malgré moi, à propos d’un article que l’un de mes contacts a publié sur son mur. L’article traitait de « décentralisation et organisation territoriale », paru sur le très récent et peut-être obscur site Institut-Rousseau. L’auteur prenait prétexte de l’actuelle pandémie pour saluer les vertus de l’état, louer sa réactivité et en appeler à son renforcement face à une décentralisation qu’il estime être un échec. Qu’elle ait été un échec, je n’en disconviens pas. Mon désaccord portait sur deux autres points. D’une part, les compétences octroyées aux régions, leur insignifiance comparée à l’ampleur des délégations régionales en Euskadi et dans le Baden-Württemberg, me font dire qu’il ne s’agissait que d’un simulacre de décentralisation. D’autre part, l’auteur eut ce propos désinvolte voire désobligeant : « Seules font exception à ce relatif consensus les revendications régionalistes périphériques (Corse, Bretagne, Pays basque, Alsace) qui n’ont jamais cessé, et dont la décentralisation semble bien avoir aujourd’hui, non sans danger, favorisé l’essor » Il a estimé de surcroît que la pandémie a été correctement appréhendée par l’état central en ce qui concerne l’Alsace, ce qui, compte-tenu de ce que l’on sait aujourd’hui, laisse songeur. Nous sommes en pleine farce qui n’est pas sans rappeler celles décrites dans la Nef des Fous (« Das Narrenschif », de Sebastian Brand). Mes objections ont cependant été reçues avec morgue et dédain, voire insolence. Qui donc est ce quidam qui se permet de contester nos gloses savantes ? Il m’apparaît alors que le site est tenu par de jeunes énarques, lesquels dénient aux quidams qui ne le sont pas le droit de s’exprimer sur des sujets à propos desquels ils estiment avoir et la science et le monopole de la parole. La chose prête à sourire si ces jeunes gens n’étaient pas appelés aux plus hautes fonctions dans l’administration et le bien public. Arrogance qui n’écoute rien ! J’imagine que d’autres jeunes gens de la même trempe ont inspiré la réforme Nôtre 2015, par laquelle le gouvernement Valls a déconstruit l’identité alsacienne en la noyant dans un ensemble que ses détracteurs les plus modérés qualifient de grotesque. C’est terrible de croire que la vérité existe, c’est une croyance qui permet de séparer ceux qui savent de ceux qui ne savent pas, d’octroyer des pouvoirs aux uns et de vouer les autres au musellement. Chaque totalitarisme commence dans la conviction que la vérité existe. Aussi, j’invite ces jeunes interlocuteurs à reconsidérer l’étendue de leurs expertises et prérogatives et à considérer que ce qu’ils croient savoir n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de ce qu’ils ne savent pas encore ignorer. Descartes a fondé une partie de sa philosophie sur cette certitude : dubito ergo sum

 

L’écrivain russe Varlam Chalamov a laissé de son long enfermement dans un camp 58 le poignant Récits de la Kolyma. Écrire dans des conditions extrêmes !  Écrire à tout prix ! Il serait indécent qu’un tel récit soit entrepris par un écrivain bourgeois du monde occidental.

 

 

 

30 mars_J+13

Dans certains pays africains, il commence à se murmurer que le coronavirus est « la maladie des blancs ». Et de se répandre certains jeux de mots autour de la consonance colonisation-coronisation ! Les Africains seraient-ils racistes ?

 

 

 

31 mars_J+14

Émission (Secrets d’histoire) de Stéphane Bern consacrée à Lucrèce Borgia avec de très belles prises de vue de Rome, du Vatican, de Ferrare. Le Quattrocento italien était un siècle d’or. Que de prouesses et de goût dans l’architecture, de surcroît en harmonie avec la nature ! Les paysages, aux nuances près, sont les mêmes qu’ailleurs. Disons, il n’y a pas plus de splendeur dans les paysages romains, émiliens ou toscans qu’en Bretagne ou en Islande. Mais seule l’Italie témoigne de cet apogée manifesté dans l’architecture, la peinture, la poésie… Visiter un pays, c’est avant tout faire connaissance avec son histoire et les chefs d’œuvre que les hommes y ont laissés.

La France de Notre-Dame de Paris est en train de partir en ruines. Il reste l’Opéra Bastille, le quartier de la Défense, les hôtels de région aux allures de palais de verre… Que penseront les hommes du futur des Français du XXème siècle ? 

 

Bien des choses vont changer, après ! La nécessité de garder ses distances  ne sera pas abolie, il n’y aura pas lieu de légiférer, chacun aura fait sienne cette prudence élémentaire. Ainsi les terrasses des cafés resteront-elles durablement désertes. Certes, un écrivain saura encore et toujours décrire une scène qui se passe à la terrasse d’un café, nulle nécessité pour lui de s’y trouver. Mais viendra un temps où les lecteurs ne se souviendront plus de l’ambiance à la terrasse des cafés, les écrivains cesseront alors, eux-aussi, d’en faire le contexte ou le décor de leurs scènes.

 

 

 

1er avril_J+15

 

Les coronavirus sont parmi nous, ils étaient déjà là auparavant mais ils le sont désormais de façon agressive, comme soudain chargés d’une menace à notre encontre, une menace dont nous ne connaîtrons sans doute jamais la genèse et à propos de laquelle nous sommes fondés à formuler les hypothèses les plus sombres, faustiennes. Les mains ! Les coronavirus se propagent de façon préférentielle au contact des mains. Cela pose d’innombrables questions quant à l’érotisme. Point de sexualité sans jeu de mains ! Confierons-nous à des bras articulés le soin de désagrafer un soutien-gorge ou de guider un pénis vers une grotte d’amour ? Les plus machiavéliques sont déjà en train de songer à la procréation totalement assistée, en couveuses. La sexualité joyeuse connaît-elle ses dernières heures ? 

 

Quinze jours déjà ! Au début, cela avait un petit air d’aventure et d’exotisme, provisions et stocks plus ou moins bien préparés, quelques piles de livres et de bonnes intentions… En profiter pour se ressourcer… Mais le temps passe sans que le terme n’apparaisse et déjà…

 

Vérité et vérité ! Covid19 et chloroquine reposent la question de la vérité, laquelle, en l’état actuel des connaissances, semble hors de portée. Où est la vérité ? Nul ne sait. Elle existe cependant. De même, il existe un langage de vérité, mais non pas de la vérité. Celui qui tient un langage de vérité se montre en général prudent, quand il ne sait pas il cherche un consensus. Il lui arrive de se tromper mais il a assez d’humour pour le reconnaître. La vérité est plus proche de la plaisanterie que de la tautologie.

 

#Balance ton voisin ! Les collabos sont de retour. (Ils ne sont jamais partis. Tels les virus, ils étaient en sommeil.)

 

Chaque jour qui passe, nous rend plus lucides sur les évolutions en cours et notre soi-disant impréparation. Nous avons bâti une représentation du monde où la catastrophe n’a pas de place alors même qu’elle semble l’essence même de l’évolution. Nous avons créé des structures opérationnelles interconnectées, dépendantes les uns des autres, de telle sorte que si l’une vient à pâtir, elle entraîne dans sa chute toutes celles qui lui sont connectées. La raison (prévoyante) eût voulu que nous organisions le monde en petites entités indépendantes capables d’autonomie et, à l’intérieur de celles-ci, des sous-ensembles possédant le plus d’autonomie possible, comme ces états allemands du temps du St-Empire capables de résister à toutes sortes de calamités.

 

Depuis une quinzaine d’années, les séries américaines mettent en scène des univers de morts-vivants, de zombis contaminés par une quelconque calamité qui s’en prennent à tout ce qui bouge. Nos juniors s’en sont nourris, croyant se vacciner contre le pire par sa représentation. Mais la réalité est encore bien plus terrible, car les zombis et morts-vivants ne savent pas même qu’ils le sont, ils ont la semblance des individus sains et les contaminent sans même que ces derniers le sachent.

 

 

 

2 avril_J+16

Mesure de la vanité d’un auteur : le nombre de jours à l’issue desquels il est capable de relire un texte de sa plume comme si c’était celui d’une autre, afin d’y voir toutes les imperfections qu’il comporte.

Un artiste autoproclamé (un dénommé Jayet) fait poser en plein Marseille un ours géant de 6 tonnes, destiné selon lui à une vente aux enchères dont les recettes seraient attribuées à une opération humanitaire ou une association de défense d’une minorité. L’imposture, tel le diable, revêt mille visages possibles et il ne manquera pas de badauds pour en applaudir les grimaces.

 « Nous devons rebâtir notre souveraineté nationale et européenne ! », s’exclame le Pdt de République. Quand on est en marche, l’oxymore n’est pas loin.

 

4 avril_J+18

 « Pire est la situation, meilleures se révèlent les personnes. Les catastrophes font émerger le meilleur de l'humanité. [...] On souffre ensemble, on travaille ensemble, on éloigne le superficiel, et on découvre l'essence des choses. » (Théorème d’un certain Quarantello, sociologue spécialisé dans les réactions aux désastres, cité dans le dernier Télérama). Hm ! Je serais tenté de dire, au contraire, que les catastrophes figent et exacerbent les caractères, qu'elles ne les modifient pas mais en intensifient les traits, que vices et vertus se renforcent dans l’épreuve. L'altruiste sera plus altruiste, l'égoïste sera plus égoïste ! Cette question recouvre d'une certaine façon l'opposition Hobbes-Rousseau. « Homo hominem lupus », d’une part. « La nature a fait l’homme généreux et bon, … c’est la société qui le déprave… », d’autre part. Nous n’en sortirons jamais. Les progressistes téléramiques s’érigent en théorèmes mais certains théorèmes relèvent du désastre !

 

5 avril_J+19

Le silence dans la ville au petit matin est si intense que j’entends chanter les quelques coqs à la ronde. Ils me rappellent l’ordre des choses, les coqs et l’Angélus, lequel n’est plus sonné depuis longtemps dans les grandes conurbations confiées à la laïcité des mécanismes et des processus.

En ces périodes de confinement et de torpeur économique, il nous est possible d’accéder à une mesure du PIB mécanique. J’appelle ainsi la part du PIB affectable au seul fonctionnement des machines. L’activité économique est ralentie, très peu d’hommes et femmes sont au travail. Certaines productions cependant continuent d’être émises, celles qui procèdent de machines automatisées dont le pilotage ne nécessite l’intervention que d’un nombre restreint d’humains. Il subsiste donc une génération résiduelle de PIB. Sa comparaison avec le PIB de pleine activité nous permettra d’apprécier, voire mesurer, le taux de mécanisation dans la génération du PIB et de corriger celles des incidences fiscales qui seraient mal ajustées. Les marxistes reprochent souvent à la fiscalité sociale de taxer le travail humain mais d’en omettre le travail mécanique. Il sera possible désormais d’avoir une meilleure idée des corrections à opérer dans ce sens.

Continue-t-il à se faire des enfants ? Les jeunes gens en âge de procréer songent-ils à autre chose qu’à leur survie au jour le jour ? Mais leur survie à long terme est avant tout une question de littérature et de procréation, ainsi que le remarquait Hannah Arendt. Les Grecs du temps d’Homère avaient cette supériorité sur le Dieux (lesquels les jalousaient) en ce qu’ils connaissaient à la fois une vie qui s’achève et une autre, qui ne s’achève jamais. Les hommes connaissent l’immortalité de deux manières : ils ont d’une part l’insigne privilège d’une descendance en laquelle ils se prolongent, d’autre part ils ont dans leurs rangs des rhapsodes qui, tel Homère, savent produire une littérature, laquelle chante leurs hauts faits jusqu’à la fin des temps. Jouir de ces deux privilèges sans en avoir conscience relève du blasphème, de la profanitude (comme dirait quelqu’une), de la perte du sacré. La Némésis fait son œuvre en notre monde qui est peut-être en train de s’achever. Mais s’il y a Némésis, c’est qu’il y avait hybris, quelque chose de démesuré à châtier dans l’oubli. Lhybris se caractérise toujours par un haut degré d’inconscience.

Les jeunes gens sont tout préoccupés d’eux-mêmes et de leur propre épanouissement héliotropique. Ils sont les descendants d’hommes autoproclamés souverains depuis 1789, d’hommes qui, croyant punir un clergé répréhensible à bien des égards, se sont détournés du sacré et de Dieu.

Je note scrupuleusement chaque jour deux indicateurs (concernant la France) : le nombre de cas recensés et le nombre de décès, et les porte sur des courbes sur lesquelles je me livre à d’hybriques exercices d’extrapolation. Ainsi la courbe des décès connait-elle un méplat à l’issue duquel se produira une inversion, une diminution progressive du nombre de décès. Le méplat fait l’objet d’hypothèses, pessimistes, vs optimistes, directement liées au temps de latence de la maladie, au bout de combien de temps, en moyenne, elle se déclare après contamination, et si elle se déclare. Ainsi en suis-je arrivé à estimer le nombre de décès dans une fourchette comprise entre 13000 et 16000.

Et après ? Après la dernière grande saignée que connut ce pays (je veux parler de l’hécatombe de Quatorze, de Verdun, du Chemin des Dames, de la Somme…), le pays pleurait 3 millions de victimes (tués ou mutilés) ! Le pays ? Une partie seulement, les Cosette, les Gavroche, les paysans auvergnats et bretons, les mineurs du Nord et de Lorraine… car les élites, à Paris, lançaient les flonflons des années Vingt, avec son jazz, son french cancan, les poésies de Reynaldo Hahn et les airs raffinés de Fauré et Debussy. Pendant ce temps, Céline, Barbusse, Dorgelès ou Genevoix invitaient dans leurs pages les Bardamu et les Gueules Cassées. Mais la France n’en voulut pas. La France gauloise est, en son for intérieur, disposée à sacrifier le dixième de sa population pour que les neuf dixièmes puissent continuer à se goinfrer de cervoise. A la fin du confinement, la France organisera un méga défilé sur les Champs- et les médecins urgentistes rescapés perdront le peu de foi qui leur reste. Ensuite, il faudra se demander à quel moment de l’histoire ils sont devenus ainsi, et, là, je trouve 1789 ! (Je précise que je suis un enfant d’origine rhénane pour lequel l’assassinat du Roy reste un événement sacrilège.)

 

6 avril_J+20

« Le soir de Belgique » titre : 40% des Belges sont pour l’arrêt des soins pour les plus de 85 ans. Ceux qui auront cotisé toute leur vie seront ravis par cette grande expression de solidarité intergénérationnelle, comme diraient les technocrates. Mais je vais le dire autrement : les hommes qui contreviennent au cinquième Commandement du Décalogue (Tu honoreras ton père et ta mère) sont en voie de perdition.

Jérôme Fourquet émet l’hypothèse que l’engouement qui se cristallise autour du Pr Raoult est l’expression d’un symptôme qui n’arrive pas à trouver d’incarnation politique. Le Pr Raoult entre-t-il dans la panoplie des Gilets Jaunes ?

En réponse à un interlocuteur qui me prenait à partie pour n’avoir pas honni le Pr Raoult : « Chers amis, vous me prêtez des intentions que je n'ai pas. Je ne suis pas raoulophile, et si j'ai pu me montrer critique envers le gouvernement, c'est pour d'autres raisons. En médecine, je suis un néophyte, mon fils me le dit assez. Donc, je ne prétends rien, mais quand j'écoute un type dire, je connais un médoc, alors forcément je prête oreille. Et quand le type se trouve être une sommité, j'en prête une deuxième. Ce que je ne comprends pas, c'est cette sorte d'acharnement que d'aucuns (Brice Couturier y compris) mettent à vouloir disqualifier Raoult, surtout face à des gens qui, comme moi, et ils sont nombreux, ne cherchent pas du tout à en faire un gourou. Est-ce l'air du temps, fait de crispations, de prétéritions à l'emporte-pièce ? Je suppose que, lors des grandes pestes, quand on ne savait plus quoi faire, on se raccrochait à une sorte de main-stream, de rumeur élevée au rang de certitude ou d’exutoire, et que toute personne qui n'adhérait pas de façon inconditionnelle et tonitruante se voyait suspectée. En sommes-nous désormais à ce stade ? »

L’allocution de la reine Elisabeth II était pleine de dignité, une dignité qui remonte aux Windsor, aux Stuart et même aux Plantagenets. La France, pays autoproclamé des Droits de l’homme, s’est choisi un monarque qui a délégué sa parole à une certaine Sibeth N’Diaye, dont les parjures et les énormités ne se comptent plus. Vérité en deçà du Channel, mensonge au-delà, pour paraphraser un certain Pascal. Un pays où règne un roi (ou une reine) conserve les structures mentales de la nation. Un président de la république, en revanche, n’est élu que sur sa seule parole, qu’il peut choisir de respecter ou de trahir. « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », s’exclamait René Char, et le Pdt de la République est le seul à écrire celui de la nation. Un roi, lui, porte la tradition de tous ceux qui le précèdent et, sauf folie, ne se parjurera jamais. God bless the Queen !

A propos de l’attentat (deux morts et une demi-douzaine de blessés dans un état critique) de Romans-sur-Isère, France-Info commente : « le suspect était très agité et inquiet à cause du coronavirus et du confinement ». Le commentaire heurte la common decency de plusieurs façons :

1.     Nommer « suspect » un islamiste assassin

2.     Lui donner l’excuse du confinement en feignant d’ignorer que celle-ci pourrait, par jurisprudence, cautionner d’innombrables crimes

3.     Se présenter sous l’étiquette France-Info

4.     Ne pas se faire l’expression de l’indignation désormais palpable de la société civile, de ce qu’il reste de nation.

Il est question désormais d’attestation de déplacement numérique. Sans recul sur cette information et sans esprit critique de ma part, je ne peux m’empêcher de citer cet extrait : « Par ses manœuvres, tous, petits et grands, riches ou pauvres, libres et esclaves, se feront marquer le signe de la Bête sur la main droite ou sur le front, et nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il n’est marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom. » (Apocalypse 13.16 Bible de Jérusalem)

Ce virus fonctionne comme un inhibiteur de déplacement et de contact et il serait désinvolte, même en l’absence de malveillance ou de manipulation hors contrôle, de ne pas y voir un signe de la part de Gaïa. Il serait tout aussi imprudent de ne pas chercher à décrypter celui-ci et d’en rester à l’enchaînement cause-conséquence, action-réaction. Sommes-nous en train de recevoir une invitation à repenser la globalité ? Les structures institutionnelles existantes sont-elles en mesure de soutenir une telle pensée ?

Dans ma sortie (presque) quotidienne (au titre des « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive, et aux besoins des animaux de compagnie »), j’ai croisé :

plusieurs personnes qui faisaient leur jogging

d’autres qui passaient sans saluer

deux chiens errants dont l’un avec une laisse. Sans leur propriétaire !

un homme qui se livrait à la musculation dans son garage aménagé en salle de sport, avec du rap généreusement mis adonf.

Nous n’en sommes pas là, mais s’il fallait retenir dix livres à emporter (ailleurs, en un lieu où l’atmosphère est à nouveau débarrassée des Covid)… lesquels et pourquoi ?

la Bible de Jérusalem : incontournable

Homère, l’Iliade : à leur apogée, les civilisations sont mortelles

Sophocle, les tragédies des Lagides : on ne piétine pas impunément le sacré

Shakespeare, les tragédies : all the devils are there

Molière, les comédies : les sophistes mutent aussi vite que les virus

Hölderlin, poésies : les Dieux veillent sur nous en dépit de notre hybris

Dante, la Divine comédie : ne nous arrêtons pas aux apparences

Stendhal, Lucien Leuwen : la plus belle histoire d’amour de la littérature

Dostoïevski, les frères Karamazov : les progressistes à l’assaut de la tradition

Virgile, l’Enéïde : « A toi de diriger les peuples sous ta loi, Romain, qu’il t’en souvienne - ce seront là tes arts à toi – et de donner ses règles à la paix : respecter les soumis, désarmer les superbes. »

 

7 avril_J+21

Vers quel monde allons-nous ?

« Le coronavirus ravit, c’est vrai, tous les ennemis de la liberté ! Il est le prétexte idéal pour la réduire et pour permettre à l’Etat d’intervenir dans le champ de nos vies privées. J’observe la situation avec inquiétude, pas seulement à cause de la crise économique épouvantable qui s’ensuivra, mais en voyant ces états qui fanfaronnent en indexant ces restrictions de liberté à l’efficacité contre le virus. Encore faudrait-il le démontrer ! (…) Dans notre monde libre, si le contrôle de l’Etat est accepté, c’est uniquement parce que la situation est extraordinaire et qu’on la sait passagère. » Mario Vargas Llosa

Le gouvernement laisse filtrer des informations sur les scénarios de sortie de confinement. Il ne dément pas le sentiment que la vie, progressivement, pourrait reprendre comme avant. Ce sentiment cependant n’est que la cristallisation du vœu que chacun nourrit pour lui-même et le monde qu’il connaît. Mais existent aussi toutes les raisons de penser que les choses ne seront plus comme avant. Nous savions que le virus migre par contact de la main, nous savons aujourd’hui qu’il migre aussi, porté par le souffle et ses postillons. Il ne met en danger qu’un petit nombre d’entre nous, il est sans effet sur le grand nombre, mais il est hautement contagieux, et le maintien des postures de confinement – les gestes-barrière – est hautement probable. Par ailleurs, des rumeurs de recrudescence nous viennent de Corée du Sud et d’autres contrées où le virus était censé avoir été maîtrisé. Beaucoup de choses laissent à penser que la pandémie sévira pendant des années, avec une succession d’épisodes aigus et d’autres, d’apparente rémission. Quelle est dès lors l’organisation sociale la plus à même de limiter la propagation et la contagion ? Sans conteste, il s’agit du tissu cellulaire, à savoir un chapelet de petites structures circonscrites sur un territoire, de haute autonomie, reliées les unes aux autres par une communication sémaphorique et de très rares échanges physiques. En cas d’infection de la structure voisine, toute relation serait aussitôt interrompue avec elle, la structure infectée étant capable de faire face de façon autonome. Nous aurions ainsi un confinement cellulaire. Hélas, notre tissu social est globalisé (nous avons, par exemple, choisi les TGV au détriment des TER), continu malgré les océans, et chaque pays est administré par une technostructure plus ou moins centralisée, à laquelle incombe la responsabilité des mesures prophylactiques. Il y a peu de chances que celles-ci prononcent leur propre dissolution et mettent en œuvre le tissu cellulaire dont nous avons parlé. Elles s’empresseront au contraire de prendre des mesures globales de confinement et mettront en place des procédures, policières, de limitation, de contrôle et de régulation. Ces procédures, très vite, s’appuieront sur les NTIC. On parle déjà d’attestation numérique de déplacement. On peut imaginer que les individus vaccinés et sains seront marqués avec un code-barres lisible au passage de portiques et que l’espace public sera entièrement quadrillé de portiques qui fonctionneront telles des gates de tri et de rétention. L’univers inquiétant de Philip K. Dick n’est plus très loin. Pour des raisons sanitaires difficilement vérifiables par le citoyen, les technostructures procéderont à une restriction inédite des libertés élémentaires, celles, pour chacun, de se déplacer quand et où bon lui semble, dans le monde globalisé au sein duquel les membres de sa famille, ses amis, ses contacts professionnels, ses centres d’intérêt sont éparpillés. Les technostructures disposeront du colossal pouvoir de contrôler les déplacements et le nombre de sophistes qui peuplent leurs rangs n’est pas sans poser des questions quant à la probité et la transparence de l’exercice de ce contrôle. Le dilemme se présente à nous en ces termes : survivre en hommes surveillés et confinés ou, en hommes libres, prendre le risque de mourir. Il est hélas peu probable que les technostructures nous en laissent le choix !

Alors que le personnel soignant en manque cruellement, la Poste aurait dissimulé un énorme stock de 486 000 paquets de 50 masques ! Charité bien ordonnée commence par soi-même, pense le sophiste…

 

8 avril_J+22

Une angoisse m’étreint. Elle étreint, je crois, chacun d’entre nous. Je me demande, nous nous demandons de quoi demain sera fait, vers quel monde nous allons, car même si, jour après jour, nous recensons les raisons de penser le contraire, nous prenons conscience, jour après jour, que les choses ne seront plus jamais comme avant. On mesure désormais en années les conséquences de la pandémie et la possibilité de son éradication complète semble exclue. Une boîte de Pandore a été ouverte et les calamités en sont sorties. L’air qui nous entoure restera irrespirable, du moins potentiellement transmetteur de virus. Les conséquences sociales sont incommensurables, des bouleversements sont prévisibles, la production des richesses menacée de ralentissement. Des pénuries alimentaires sont à craindre, mais aussi des troubles et des émeutes. La liberté de mouvement, mise sous contrainte de gating et de tracking. La sécurité offerte par les modèles de société occidentale en devient précaire, il faut envisager l’impuissance de l’État à assurer ses missions régaliennes, la constitution de milices répondant à des appétits incontrôlables, et la population désarmée ne sachant plus à quel saint se vouer. Les hiérarchies en seront bouleversées elles aussi, et l’annulation, probable, des dernières élections municipales ne sera qu’un épiphénomène. Nous sommes tels des dormeurs qui se réveillent d’un rêve bucolique de concorde universelle et de Disneyland solidaire et ouvrons les yeux sur un monde cauchemardesque où nous ne sommes prêts à affronter aucune des menaces qui pèsent sur nous. Nous voyons venir à nous les conséquences de notre impréparation, de notre imprévoyance, de notre désinvolture. Si vis pacem para bellum ! Les descendants que nous nous prétendons du monde judéo-romain n’ont pas même songé à se préparer aux guerres qui s’annoncent, sanitaires, civiles, confessionnelles voire ethniques... Comment dès lors contenir cette angoisse ? J’ai entrepris la lecture de Servitude et grandeur militaires, d’Alfred de Vigny, dont Daphné et Stello, il y a quelques années, m’avaient déjà enchanté. La tranquille assurance et la souveraine maîtrise du langage de ce soldat-poète s’érige en phare dont les fanaux prodiguent des feux réconfortants. « Ce ne fut que très tard que je m’aperçus que mes services n’étaient qu’une longue méprise, et que j’avais porté dans une vie tout active une nature toute contemplative. Mais j’avais suivi la pente de cette génération de l’Empire, née avec le siècle, et de laquelle je suis. » Quelle grâce, quel style ! Le hasard par ailleurs m’a fait réécouter ce petit joyau musical qu’est l’aria Cold Song de Henry Purcell, et l’interprétation qu’en fait Klaus Nomi, berlinois excentrique décédé en 1983 des conséquences d’une autre épidémie, n’est pas la moins émouvante.

 

9 avril_J+23

Se retrouver seul ! Le confinement qui nous est imposé nous rend-il disponible à cette solitude en laquelle d’aucuns voient une opportunité pour se ressourcer, pour approfondir des pistes de réflexion qui, en d’autres circonstances, resteraient en suspens ? Certes, il y a bien des instants où il en va ainsi. Mais il en est d’autres, beaucoup d’autres, où la pesanteur de la chape de plomb s’ajoute à celle de la pesanteur terrestre, où l’esprit se sent écrasé, atterré (au sens littéral) par la soudaine dégradation de l’air respirable et le foisonnement du carcan juridique et administratif par lequel la liberté se voit sournoisement restreinte. Et ce dilemme permanent, vivre confiné, les ailes repliées, ou bien libre mais en danger imminent. L’esprit parvient difficilement à s’abstraire de l’actualité sanitaire et administrative et, pour capter notre attention, il faut, à l’auteur du livre dans lequel nous essayons de plonger, le talent et la force de persuasion de Shéhérazade face au spleen du sultan.

 

10 avril_J+24

« La crise économique qui suivra la pandémie devrait aussi contribuer au retour du bon sens, de la sagesse populaire dans nos sociétés engluées dans le superflu. Une certaine gauche n’a cessé de prôner la décroissance économique, mais sans réaliser que ses propres projets étaient au fond des caprices que les gauches étrangères n’ont jamais pu ni même voulu s’offrir par respect pour le peuple. Les pauvres de ce monde pensent à manger tout court avant de manger végan. Ils pensent à se déplacer tout court avant de calculer leur empreinte carbone. Ils pensent à assurer leur sécurité et celle de leurs enfants avant d’instaurer des «safe spaces» dans des universités que ceux-ci ne pourront jamais fréquenter. Ils rêvent de rénover leurs écoles avant d’y installer des vestiaires unisexes. La nouvelle gauche s’est crue modeste en arborant ses diamants progressistes. Elle doit son existence à une immense qualité de vie qui risque fortement de s’évaporer. » (Jerôme Blanchet-Gavrel, sur Causeur).

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes… L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif… Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux… En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur… L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. » Günther Anders, "L’Obsolescence de l’homme", 1956

Dubito ergo sum ! Un homme capable de fonder la philosophie sur le miroitement de son propre esprit n’est pas habité par la foi. Si Paul de Tarse avait entendu cette exclamation, il aurait éclaté de rire. Puis il aurait rédigé une épitre aux agnostiques, pour les mettre en garde contre les mirages de l’esprit. Descartes pourtant professait l’existence de Dieu et de l’âme, mais de façon rationnelle, comme conséquence nécessaire à son édifice intellectuel. Un homme habité par la foi ne pense pas un instant que les animaux sont dépourvus d’âme. Descartes pensait que les animaux n’ont pas d’âme.

Ah, les précautions que prend tout un chacun lorsque, au cours de son déplacement bref, à proximité du domicile, lié à l’activité physique des personnes… il en vient à croiser un voisin avec lequel, il y a quelques semaines encore, il se serait mis à bavarder ! La suspicion restera, hélas, lorsque viendra le temps de déconfiner, et il est loin le temps où les terrasses des cafés se rempliront à nouveau de personnes de tous âges, soucieuses de passer quelques heures paisibles en bonne compagnie. Qui osera adresser la parole à un inconnu ? Lui serrer la main ? L’embrasser ? Il y a de fortes chances que, pendant longtemps, les gens n’accepteront de rencontrer que les seules personnes de leur connaissance dont ils estimeront, a priori, qu’elles sont clean. La chape de plomb, déjà évoquée ici même, consiste en cela aussi : figer le réseau des relations dans la configuration où elles étaient lorsque la pandémie est entrée dans sa phase agressive et que les gens se sont conformés à la distanciation sociale. Il faudra désormais une conjonction extraordinaire de circonstances favorables pour que deux inconnus entrent en relation, pour qu’une femme accepte l’invitation à dîner de la part d’un homme, pour que…

« Je voulais et ne pouvais pas écrire. Je sentais quelque chose dans ma pensée, comme une tache dans une émeraude ; c’était l’idée que quelqu’un veillait auprès de moi aussi, et veillait sans consolation, profondément tourmenté. Cela me gênait. J’étais sûr qu’il avait besoin de se confier, et j’avais fui brusquement sa confidence par désir de me livrer à mes idées favorites. J’en étais puni maintenant par le trouble de ces idées mêmes. Elles ne volaient pas librement et largement, et il me semblait que leurs ailes étaient appesanties, mouillées peut-être par une larme secrète d’ami délaissé. » (Vigny, GSM, II)

Toute cette incertitude qui entoure les jours à venir pèse sur ma sérénité comme la proximité d’un ami dont le tourment serait si fort que les effets en seraient palpables et s’étendraient à toutes choses.

 

11 avril_J+25

Texte lu lors de la messe célébrée en Notre-Dame de Paris, hier, vendredi saint, par Philippe Torreton :

Le porche du Mystère de la deuxième vertu, de Charles Péguy 

Une couronne a été faite une fois : c’était une couronne d’épines.
Et le front et la tête ont saigné sous cette couronne de dérision.
Et le sang perlait par gouttes et le sang s’est collé dans les cheveux.

Mais une couronne aussi a été faite, une mystérieuse couronne.
Une couronne, un couronnement éternel.
Toute faite, mon enfant, toute faite de souples rameaux sans épines.
De rameaux bourgeonneux, de rameaux de fin mars.
De rameaux d’avril et de mai.
De rameaux flexibles et qui se tressent bien en couronne.
Sans une épine.
Bien obéissants, bien conduits sous le doigt.
Une couronne a été faite de bourgeons et de boutons.
De bourgeons de fleurs comme un beau pommier, de bourgeons de feuilles, de bourgeons de branches.
De bourgeons de rameaux.
De boutons de fleurs pour les fleurs et pour les fruits.
Toute bourgeonnante, toute boutonnante une couronne a été faite
Mystérieuse.
Toute éternelle, toute en avance, toute gonflée de sève.
Toute embaumée, toute fraîche aux tempes, toute tendre et embaumante.
Toute faite pour aujourd’hui, pour en avant, pour demain.
Pour éternellement, pour après-demain.
Toute faite de pointes menues, de pointes tendres, de commencements de pointes.
Feuillues, fleuries d’avance,
Qui sont les pointes des bourgeons, tendres, fraîches,
Et qui ont l’odeur et qui ont le goût de la feuille et de la fleur.
Le goût de la pousse, le goût de la terre.
Le goût de l’arbre.
Et par avance le goût du fruit.
D’automne.
Pour calmer le pauvre front battant de fièvre, chargé de fièvre,
Afin de rattraper, afin de revaloir le couronnement de dérision,
Pour adoucir, pour apaiser, pour calmer, afin de rafraîchir les tempes battantes,
Les tempes fiévreuses.
Le front ardent, le front fiévreux,
Lourd de fièvre, les tempes chaudes, la migraine et l’injure, et le mal de tête et pour calmer la dérision même.
Pour apaiser, pour embaumer, pour étancher le sang qui se collait dans les cheveux
Une couronne aussi a été faite, une couronne de sève, une couronne éternelle,
Et c’est la couronne, le couronnement de l’espérance.

Comme une mère fait un diadème de ses doigts allongés, des doigts conjoints et affrontés de ses deux mains fraîches
Autour du front brûlant de son enfant
Pour apaiser ce front brûlant, cette fièvre,
Ainsi une couronne éternelle a été tressée pour apaiser le front brûlant.
Et c’était une couronne de verdure.
Une couronne de feuillage.

Il faut avoir confiance en Dieu, mon enfant.
Il faut avoir espérance en Dieu.
Il faut faire confiance à Dieu.
Il faut faire crédit à Dieu.

 

J'ai suivi, ce matin 11 avril sur Youtube, un reportage consacré à Heidegger qui, notamment, jetait un regard critique sur les sciences et les techniques, non que celles-ci portent en elles-mêmes un principe maléfique, mais en raison de ce fait que leur cheminement avait cessé "d'être pensé", qu’elles évoluaient selon une sorte d'inertie ou d'ivresse de leur propre mouvement et ne contenaient pas en elles-mêmes les outils nécessaires à leur propre réflexion (celle-ci étant du ressort de la philosophie). Et je n'ai pu m'empêcher de faire un lien avec la situation que nous vivons, laquelle, à plus d'un titre, résulte d'une sorte d'inconscience collective qui me fait penser aux facéties infantiles (et diaboliques) du personnage du Joker dans Batman. Les sciences et les techniques ont généré leurs bataillons d'experts qui ont renoncé aux vues d'ensemble pour se consacrer, souvent en benoîte innocence, à l'infiniment petit de leurs disciplines desquelles jaillissent parfois des monstres échappés de boites de Pandore ouvertes par mégarde. Je me rappelle encore un reportage plus ancien où des petits génies expliquaient les progrès réalisés dans la génération de "l'homme augmenté". A peine dissimulaient-ils leur espoir, fou, de parvenir à l'éternité de leur vivant. Et je me suis posé la question : qui "pense" encore ? Les quelques "dinosaures" qui cherchent à penser ont-ils la moindre influence sur l'inexorable marche en avant de la technique ?

 

12 avril_ J+26

Jour de Pasques, fête de la résurrection du Christ, allégorie de la renaissance, laquelle est impossible sans être au préalable mort à soi-même. Cependant, quelle renaissance ?

13832 décès comptabilisés hier soir par le Directeur Général de la Santé Publique. La courbe présente un palier depuis une quinzaine de jours. L’importance du palier préjuge de la durée de la décroissance, nous en avons pour des semaines et des semaines encore. Et seule une fraction mineure de la population a été contaminée, moins de 10% dit-on. Nous sommes loin de la fameuse immunité collective. Il convient aussi de réviser à la hausse ma première fourchette de 13000 à 16000 décès. De combien ?

Le grand nombre conduit-il à l’uniformité ? L’épanouissement des individus suppose que la société leur laisse d’importantes marges de manœuvre et de liberté, afin que leurs entreprises puissent prospérer dans un compromis de respect des lois et d’initiatives personnelles (Tocqueville disait : « que l’État crée les conditions du commerce et de l’industrie et se retire.») La main heureuse agit d’autant mieux que les contraintes sont légères. Et les contraintes restent légères aussi longtemps que le nombre reste raisonnable, les fausses manœuvres et inconvénients résultant d’initiatives mal pensées par les uns ne nuisent que modérément aux autres. En revanche, lorsque le nombre augmente, il semblerait nécessaire de limiter, à mesure, les conséquences malheureuses et mettre les initiatives sous contrôle, les soumettre à des normes et en imposer le respect. Ainsi, pour un territoire donné, semble-il exister deux nombres significatifs de densité de population. Le premier, bas, correspond à un optimum d’équilibre entre les marges de liberté et le système de normes auquel la population est soumise. Le second, haut, correspond au seuil de tolérance au-delà duquel les contraintes progressives du système de normes deviennent insupportables, et se produisent des événements chaotiques, conflictuels ou pandémiques. Malthus aurait-il eu raison ?

Une famille qui, pour savourer un poulet rôti à son midi, doit avoir, dans l’ordre chronologique inversé, plumé, éviscéré, tué, attrapé, élevé et gardienné ce poulet et, auparavant, récolté du grain, semé des céréales, labouré un champ, construit une grange, fabriqué des outils… une telle famille se fait une autre idée du sacré et du sacrilège qu’une famille qui, au contraire, se contente de présenter sa carte de paiement sans contact pour l’achat d’un poulet élevé en batterie… Mais, pour nourrir les innombrables familles qui désormais peuplent la planète, peut-être faut-il élever les poulets en batteries, n’en déplaise aux écologistes qui prétendent qu’il est possible de nourrir 8 milliards d’habitants de la même façon que 8 millions ! Notre planète serait-elle trop peuplée ? La question est, je le sais, sacrilège mais les événements ont la fâcheuse habitude de nous questionner sur nos impensés. Et, le cas échéant, où le point d’équilibre se situe-t-il ? Notre équation humaine, collective, est complexe et, peut-être, insoluble avec une méthode mathématique, tant il est impossible de modéliser tous les paramètres. Il nous faut donc suivre notre seule intuition, laquelle est plus perspicace dans l’humilité et la paix de l’âme que dans le tumulte des vanités.

Le discours, l'homélie, l'exhortation... du pape François en ce dimanche de Pâques, en la basilique Sainte-Marie des Anges et des Martyrs, vide comme un purgatoire aux portes closes, est empreint d'une solennelle gravité de circonstances, même si certaines exhortations tiennent du vœu pieux. Son message cependant s'adresse à chaque homme, quelle que soit sa confession. A aucun moment, il n'a fait de différences entre les Chrétiens et les autres, et il faut lui rendre grâce pour cela.

Dans cette période post-confinement à venir, il faut absolument empêcher les grands rassemblements festifs dont l’Occident se régale depuis qu’il s’adonne sans retenue au « paganisme » (les matchs de foot, les fêtes de la musique ou du vin, etc.). Il faut en revanche retrouver l’esprit des petites manifestations locales que nulle télévision ne viendra perturber de sa supervision normative. Et je suis très favorable au maintien du Tour de France, qui est une manifestation festive locale en mouvement, à condition d’empêcher les grands rassemblements au départ et à l’arrivée. Les aficionados pourront se répartir le long du parcours tout en respectant la distanciation sociale. De même les journalistes en mal de verbe pourront survoler le circuit et commenter à satiété des images qui n’auront pas beaucoup changé par rapport à l’année précédente (il faut bien leur laisser quelques os à ronger !)

 

13 avril_J+27

Oh, le silence assourdissant du petit matin ! Il n’y a pas si longtemps, la ville à son réveil bruissait de mille rumeurs automobiles, employés qui rejoignaient leurs lieux de travail, parents qui emmenaient leurs enfants à l’école, banlieusards qui formaient une impatiente procession le long de la route de Toulouse, trente-huit tonnes par escouades entières qui charriaient les matières premières et les produits manufacturés entre la péninsule ibérique et le nord de l’Europe, tous ces efforts mécaniques en lesquels se manifestaient la volonté de faire tourner le monde s’additionnaient en un puissant murmure semblable à celui d’une tempête à la fois énervante et rassurante. Désormais le silence tient en respect toutes choses, il préjuge de la violence de la tempête qui bientôt se lèvera à nouveau.

Les personnes âgées confinées jusqu’à la fin de l’année ? Telle est la rumeur qui se répand après les propos sibyllins des plus hautes instances européennes lesquelles préconisent que, « sans vaccin, il fait limiter autant que possible leur exposition ». Et ceux-là même qui tiennent de tels propos ne sont pas même conscients de leur tartufferie ! Les personnes âgées mourront d’isolement, d’abandon, de confinement, de mise au banc, mais les technocrates de tous poils seront indemnes de l’accusation de non-assistance à personnes en danger de coronavirus ! Au moins, quand les bombes pleuvaient, avaient-elles le choix des abris où se réfugier !

« L’urgence produit toujours, on le voit dans toutes les catastrophes, des comportements d’entraide. Et aussi des comportements de prédation, beaucoup moins nombreux mais beaucoup plus visibles. Que va produire la peur, éprouvée pour la première fois dans l’histoire, par l’ensemble de l’humanité au même moment ? Un sentiment de commune appartenance ? La lutte de tous contre tous ? La réhabilitation de la coopération comme mode d’existence collective, ou la poursuite de la compétition généralisée, gage de notre destruction annoncée ? » Ainsi s’exprime Rony Brauman, ancien Président de MSF, en conclusion d’une interview accordée ce jour à Marianne. Telle est bien la question, évoquée de façon sibylline. Si vis pacem, para bellum, recommandait le stoïcisme romain. Hélas, depuis 1945, les occidentaux, notamment français, n’ont cessé de clamer Paris est une fête, et prêter oreille aux gourous du pacifisme dont ils regardaient les pantomimes en enfants émerveillés. Cette guerre que nous n’avons pas préparée, occupés que nous fûmes à disserter sur toutes sortes de fadaises, tels Byzantins en 1453, nous aurons peut-être à la livrer dans notre naïf dénuement !

Ah l'économie, l'économie, l'économie ! La benoîte satisfaction des progressistes lorsqu'ils ont donné quelques coups de marteau indignés sur ce clou ! Comme si l'économie seule avait un sens ! Comme si l'économie n'était pas le versant comptable de la vision selon laquelle on se propose d'administrer le bien public ! Mais taper sur l'économie procure la satisfaction de désigner à la vindicte un bouc émissaire et dispense de balayer devant sa porte...

 

14 avril_J+28

Le Président de la République maintient le confinement jusqu’au 11 mai, sauf pour les personnes âgées. Le port du masque sera probablement obligatoire dans l’espace public à ce moment-là… parce que c’est l’engagement de livraison des fournisseurs. Si nous avions des masques aujourd’hui, nous pourrions déconfiner demain. Aucune annonce en revanche (ni même de commentaire) sur l’Euro, sur la cohésion européenne, sur la tension probable que connaitront les économies faibles (Esp, It, Fr), comme s’il la reprise économique ne dépendait que de critères endogènes. Quelles conséquences de la baisse probable du PIB de 8 à 10% ? Quelles conséquences du creusement du déficit public à 7 à 9% du PIB ? État des discussions avec les partenaires européens ? Tous ces points ont été passés sous silence. Que faut-il en penser ?

Un désastre nous attend mais il a été passé sous silence par celui-là même de qui était attendu une parole de vérité. Pour s’en faire estimation : le PIB reculera cette année de 8 à 10% et ne remontera que difficilement les années suivantes. Cela a des conséquences dramatiques sur les destructions d’emploi, surtout dans le secteur tertiaire, sur les prélèvements fiscaux, sur les renoncements… sans parler des troubles civils prévisibles. Chaque semaine de confinement supplémentaire coûtera quelque chose comme 1% du PIB, c’est dire si nous nous étions préparés…, si nous avions eu des masques, des tests. L’homme qui nous a parlé hier soir avec des trémolos dans la voix était ministre sous François Hollande, il est président de ce pays depuis trois ans. Et il s’est adressé à ses concitoyens comme s’ils allaient sortir du confinement dans l’insouciance, tels qui promeneurs qui quittent un abri après l’averse, comme si la plus grande épreuve était les quatre semaines à venir, alors que la plus grande épreuve commencera le 11 mai. De surcroît la pandémie sera loin d’être circonscrite puisque moins de 10% de la population a été contaminée (nous sommes très loin de l’immunité de groupe) et l’horizon d’un vaccin est très incertain.

Une projection dans le secteur du tourisme, lequel représente quelque 7% du PIB. Disons 7. Cela fait 7% de 2000 milliards, soit 140 milliards. La pandémie affectera, notamment, le secteur du tourisme en raison, notamment, du maintien d’un confinement partiel, de mesures d’étanchéité aux frontières, etc… Supposons que les Français empêchés de tourisme à l’étranger se rabattent sur les lieux touristiques français et que le déconfinement ait atteint son niveau d’équilibre, on peut alors estimer que l’activité touristique française se verra réduite de 40 à 60%, ce qui fait une chute de 3 à 4% du PIB en année pleine. Sans parler des destructions d’emplois correspondantes. Supposons ! Mais je renoncerais volontiers à mes projections pessimistes si quelqu’un m’en objectait de plus optimistes, mieux fondées.

 

15 avril_J+29

Le discours du Président, encore ! Plus j’y songe, et plus il me donne un sentiment de joke, de burlesque. Pas un mot sur Pasques, la plus importante fête chrétienne. Pas une mise en perspective. Les rédacteurs de l’allocution sont-ils donc à ce point dépourvus de culture ? Ne se trouve-il pas, dans l’entourage du Président, quelque ancien capable de mesure et de hauteur ! Il me semble que le tremblement de terre de Lisbonne, la grande peste de Marseille ou la pandémie de grippe espagnole en 1915 auraient dû fournir quelques références. Les temps sont tragiques, il ne s’agit pas de monter sur scène mais un peu de solennité, tout de même ! En échange, qu’avons-nous eu ? Une attitude de soignant compatissant à l’égard de ses malades, ou de coordinateur des soignants dans le cercle d’empathie desquels il cherche à entrer ! Parbleu, nous attendons autre chose que de la compassion. Nous attendons que se tienne un discours de vérité. Sur la phase de déconfinement, ses perspectives, les hypothèses d’activité, après. Sur toutes ces questions essentielles, qui concernent notre destin collectif plus qu’à aucun autre moment de notre histoire récente, il semblerait que notre Président, qui a fait l’aveu implicite de son ignorance, envisage de s’enfermer avec un cénacle d’experts et d’énarques qui accoucheront d’un train de mesures soustraites à la confrontation démocratique. Entrer en despotisme serait un moindre mal si celui-ci était éclairé ! Et quelle désinvolture d’envisager un confinement indéfini des vieux ! Dans peu d’années, je serai compté moi aussi dans cette catégorie et, Seigneur, entre périr de Corona et périr d’enfermement, j’aimerais qu’on me laisse choisir !

« …pour que la France sorte de ses braises ardentes, il faut refaire un peuple amoureux. Et donc avoir, pour cela, des historiens du feu sacré. Il y a, parmi eux, tant de médecins légistes ! Toutes les sociétés obéissent à la même loi: quand elles ont cessé de vivre de leur raison d’être, que l’idée qui les a fait naître leur est devenue étrangère, elles se démolissent de leurs propres mains… Elle peut se relever, à condition que nos élites méditent avec humilité la signification de l’épreuve que nous vivons. La défaite intellectuelle des mondialistes signale la fin du nouveau monde et le retour en force de l’ancien monde. Après la chute du mur de Berlin, on nous a expliqué que nous allions entrer dans une nouvelle ère, postmoderne, postnationale, postmorale, une ère de paix définitive. Ce nouveau monde nous débarrasserait des souverainetés et des États, puisqu’il serait posthistorique, postpolitique… Le tragique est revenu dans nos vies. Quand le malheur est de retour, que rôdent la guerre (par exemple à la frontière gréco-turque) ou la mort de masse (avec la pandémie), on retrouve les protections régaliennes. Il y a encore quelques semaines, le nouveau monde continuait à désigner la frontière comme le mal absolu, mais on a bien été obligés d’inventer ce qu’on appelle le geste barrière. Or, qu’est-ce qu’un geste barrière ? Une frontière, entre individus. », (extraits d’une interview de Philippe de Villiers au Figaro)

Jean Walter, des éditions Assyelle, me fait l’honneur de publier ce journal dans les colonnes de son site en ligne, et cela m’est une petite lumière allumée dans l’obscurité. Je ne l’en remercierai jamais assez. Je ne saurai pas cependant qui le lira, s’il est lu, s’il a présenté de l’intérêt pour ceux qui ont bien voulu lire. Écrire un tel journal consiste à cheminer le long d’une ligne de crête qui serpente entre Charybde et Scylla, d’une part l’anéantissement provoqué par la pandémie (le retour d’autres priorités, plus fondamentales, le renvoi des formes (celles qui « préservent de la barbarie » ?) à des jours meilleurs, l’incommensurable éloignement de l’auteur d’avec ses lecteurs à la fois réels et imaginaires, etc.), d’autre part la vanité et une certaine forme d’hybris (l’affirmation de l’individu, d’un individu dans un contexte où le groupe et la discipline doivent à nouveau l’emporter, mus par la responsabilité et l’abnégation dont parlait Vigny dans Grandeur et servitude). Que valent aux yeux du monde et de la postérité ces paragraphes assemblés, fruits de réflexions décousues, surgies au fil des événements depuis le 15 mars (ou plutôt de leur écho car, depuis le 17, ces événements retentissent en fausse sourdine) ? Que dis-je de plus que Leïla Slimani dont j’ai brocardé la vanité du confinement doré ? Ce journal rejoindra les innombrables journaux, commentaires, reportages, prises de paroles, gloses, essais, etc. sur les Databank de la Silicon Valley, dont le fonctionnement exige une dépense d’électricité qui n’est pas sans rapport avec l’épuisement des ressources de Gaïa. Il faudra bien qu’un peu de cohérence paraisse dans leur fil, sans quoi ! Je le rédige, jour après jour, au jour le jour, dans mon confinement qui trouve ses rythmes. L’écriture m’est un recueillement, un moment dans la journée où je rassemble, trie, structure et hiérarchise ce qui m’est livré dans le désordre. L’écriture m’est un rempart contre l’entropie. Sans elle, j’aurais le sentiment de vivre dans une maison mise à sac. Puisse ce journal fournir un autre rempart à ceux qui lui feront l’honneur d’en feuilleter les pages !

De nouveaux personnages apparaissent sous la plume, d’autres se mettent en sourdine, en retrait. Ainsi de Daphné, femme quinquagénaire dont j’avais entrepris d’écrire les étapes de la nouvelle vie, confrontée à un environnement professionnel nouveau ainsi qu’à la compétition sexuelle exacerbée, supplantée par de jeunes beautés aux jambes parfaites dont le seul regard donne la mesure des choses. Daphné patiente, son drame remonte à un temps où, les femmes, à l’approche de la cinquantaine, voulaient encore remporter des victoires ! Apparaissent d’autres personnages, aux abois, johanniques, messianiques. L’errance décrite par Cormac MacCarthy, Sur la route, me revient sans cesse à l’esprit. Vers quoi sommes-nous en train de glisser ?

Questions de néophyte : la Chine n’est pas précisément une entité philanthropique. Peu lui chaut, dit-on, de sacrifier une partie de ses sujets à une cause quelconque ! La Covid19 est par ailleurs censé entraîner un taux de mortalité compris entre 1 et 2% de la population (2% de 1 milliard, cela fait quand même 20 millions). Est-ce un chiffre assez dramatique pour que la Chine ait décidé de confiner aussi drastiquement et aussi longtemps, au mépris des conséquences économiques ? Craignait-elle des conséquences plus lourdes encore ? Quelqu’un a-t-il un début d’explication ? La Chine aurait-elle caché des choses ? La létalité et les conséquences sanitaires du virus seraient-elles très supérieures à ce qu’on nous en dit ?

Aujourd’hui mercredi, journée des courses. A la supérette, il n’y a plus ni farine ni œufs, mais la carte bleue fonctionne encore. Les caissiers sont retranchés dans des espaces délimités par des panneaux de plexiglas, les clients passent en chicane, avec deux mètres d’espacement. Le sas d’accès de la supérette est balisé pour délimiter deux files, une pour entrer, une autre pour sortir. Le vigile cependant se voit contraint d’en rappeler la règle à la moitié des clients, lesquels sont devenus méfiants, encore courtois, mais méfiants, sous l’emprise d’une menace dont ils ne connaissent pas les effets mais dont ils ressentent déjà tout le poids. L’insouciance ordinaire est définitivement révoquée.

 

16 avril_J+30

Taïwan prétend avoir prévenu l’OMS, dès fin 2019, de la possible transmission du virus d’homme à homme (selon Le Temps, Genève). Pourtant l’Organisation ne reconnait ce fait que le 22 janvier, soit deux jours après sa reconnaissance par la Chine. Donald Trump quant à lui gèle jusqu’à nouvel ordre les contributions américaines. L’Organisation aurait-elle été noyautée par les Chinois ? Il semblerait en tous cas que nous (nous tous, les citoyens, les gouvernements, les autorités…) ayons perdu en début d’année un temps précieux.

La presse rapporte le cas de personnes verbalisées pour avoir rendu visite à un parent nonagénaire, pour avoir invoqué le motif d’achat de première nécessité sur une attestation rédigée pour prendre une baguette de pain… Un pays qui continue de se prendre pour la huitième merveille du monde (et qui est singulièrement démuni là où d’autres réagissent avec plus de discernement) en arrive à confier de grossiers dispositifs de police à des agents que rien ne préserve des abus de pouvoir.

« Une société est perdue quand la peur de la mort est chez elle plus forte que l’amour de la liberté. » (R. Redecker)

Les témoignages abondent, qui décrivent les épidémies et pandémies que connut le siècle passé, souvent bien plus meurtrières. Neil Armstrong prenait pied sur la Lune tandis que la grippe de Hong Kong emplissait les morgues par vagues entières. La fatalité frappait, la médecine parrait avec les moyens dont elle disposait mais nul ne songeait alors à ralentir le cours des choses. L’avenir nous dira si le Covid19 est un fléau plus redoutable mais d’ores et déjà nous pouvons constater que le spectacle permanent et larmoyant des malheurs du monde amollit les âmes et les prive de tout courage hormis celui de leur survie.

 

17 avril_J+31

Dans un article paru sur Causeur, un cadre d’AREVA confiné au Vietnam pour soupçon de Covid-positivité fait l’éloge des excellents résultats obtenus par ce petit pays (lequel pourtant n’appartient pas au cercle fermé des fameux dragons asiatiques) et en attribue ceux-ci à une discipline collective, presque instinctive, d’inspiration confucéenne, ainsi qu’à une méthode de prophylaxie aussi élémentaire qu’efficace. Au moindre soupçon, le testé positif se voit mis à l’isolement, il est prié de citer tous ses contacts récents lesquels se voient aussitôt testés et, le cas échéant, mis eux-aussi à l’isolement, et ainsi de suite. Cette détection s’applique dès le premier cas, de façon drastique, la population semble en accepter la rigueur au nom de l’intérêt collectif. Chacun montre pattes blanches mais le groupe continue de fonctionner, la contamination est contenue, le nombre de décès reste infime et l’économie n’est pas arrêtée. Cela donne à réfléchir. La France compte parmi les pays occidentaux les plus touchés, à la fois en nombre de décès, mais aussi en conséquences économiques dramatiques. Nombreux cependant sont les commentateurs qui prétendent que la discipline asiatique serait impensable dans un pays où chaque citoyen se montre jaloux de ses libertés et de ses prérogatives. Cet individualisme explique-t-il la désinvolture de la puissance publique qui attend le 17 mars et perd ainsi de précieuses semaines (au moins cinq) dans la fixation de la contamination (qu’on se représente l’ampleur de celle-ci : dans l’hypothèse où un sujet contaminé chaque jour en contamine trois autres, le nombre de 100 000 contaminés est atteint dès le douzième jour ) ? On peut aussi s’interroger sur cette forme d’hybris de nos élites qui ont fait le sacrifice des stocks sanitaires de précaution au nom de principes de gestion d’une grande pauvreté théorique (Les logiques gestionnaires sont souvent mises en cause mais la gestion n’est que le versant comptable d’une philosophie politique indigente, rendue aveugle par le spectacle permanent de…, lequel entraîne une réactivité fébrile, sensible aux sondages, plutôt qu’un détachement et une prévoyance de bon aloi. C’est cette philosophie politique qu’il convient de questionner : trop de compassionnel, pas assez de Machiavel, lequel n’aurait pas boudé Confucius). Mais, last but not least, pour vaincre la pandémie, les sociétés occidentales (et plus particulièrement la française) semblent paradoxalement condamnées à renoncer aux principes auxquels elles se réfèrent (la fameuse liberté des individus rebelles à l’autorité !) alors même que les sociétés confucéennes (au sein desquelles la sujétion des individus est érigée en principe) jouissent d’une liberté de mouvement qui leur est aujourd’hui enviée.

Et s’il n’y avait, entre l’agnostique et l’homme de foi, qu’une question de degré dans l’hybris ? Élevée chez le premier, raisonnable chez le second ? Assez raisonnable pour ne pas souffrir de la conscience de l’humaine condition et de sa profonde finitude.

Le philosophe pense le monde, le poète chante le sacré. (cf Heidegger). Le philosophe tente de penser le monde tandis que les apprentis-sorciers en font un fragile château de cartes et que les poètes (Hölderlin) chantent l’exil des dieux : Wozu Dichter in dürtiger Zeit ? (A quoi bon des poètes par temps de détresse ? élégie Pain et Vin)

Il faut juger l’arbre à ses fruits, non à la sève !

« On ne va pas bloquer tout le pays pour quelques vieux qui vont mourir d’un instant à l’autre » (Christophe Barbier, journaliste) Was für ein Hochstappler ! Blasphème suprême ! C’est le silence qu’impose l’approche de la mort, non quelque effet de manche grotesque destiné à amuser la foule !

 

18 avril_J+32

Le Pr Montagnier, prix Nobel de médecine, donne caution à l’hypothèse de manipulation à l’origine du Covid19. Il est aussitôt marginalisé par l’establishment. Dans un article, Le Monde se charge d’expliquer combien les divagations de ce vieux Monsieur sont de peu de crédit.

La recherche se poursuit, quant à l’origine, aux effets, aux traitements du virus… de nouvelles rumeurs courent sur la létalité, le caractère éphémère des anticorps chez les personnes infectés, les effets hématologiques et non plus seulement respiratoires, la nocivité insoupçonnée sur le système immunitaire… bref, il faut que nous envisagions l’hypothèse d’avoir définitivement basculé dans un autre monde, dépourvu ou pour le moins restreint en contacts, embrassades, rassemblements, concerts, terrasses de café… et je me vois dans l’incapacité de penser le moindre avenir à un tel monde.

L’Europe, l’Union Européenne de laquelle le Royaume Uni s’est éloigné, est en train de faire preuve de sa faiblesse voire son incompétence. Cette faiblesse résulte de l’inachèvement de sa construction et de la vanité d’avoir mettre en place l’instrument monétaire (l’Euro) avant la consolidation politique. Mais l’inachèvement a lui aussi une histoire. Il était peut-être illusoire de penser qu’à la suite de trois conflits (1870, 1914 et 1940) au cours desquels la France a montré toutes ses faiblesses, elle puisse véritablement tenir le leadership européen. La construction européenne est une tartufferie où les protagonistes ont fait de beaux sourires devant les caméras tout en nourrissant des arrière-pensées venues du fond des âges.

 

19 avril_J+33

(A propos) De l’imprévoyance. Souvent, il en va des causes et des conséquences comme des vessies et des lanternes. Pour se justifier de certaines situations embarrassantes où ils ont quelque responsabilité, les désinvoltes sont prompts à invoquer les unes en lieu et place des autres. Ainsi en va-t-il de notre classe politique, et de ses journalistes qui ne cessent de vrombir autour d’eux, telles mouches autour du miel, lorsqu’elle invoque une certaine imprévoyance pour justifier l’absence de masques, l’absence de tests, l’absence de lits à respirateurs, l’absence d’industrie pour fabriquer tout cela, l’absence d’anticipation, l’absence de cohérence dans la prise de parole publique, l’absence de rigueur budgétaire pour sauver les secteurs moribonds de l’économie, l’absence… La liste est tellement longue que son énoncé en devient fastidieux. Nous aurions meilleur compte à citer Jean de la Fontaine : « Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. Nuit et jour à tout venant, je chantais, ne vous déplaise. » En faisant un (bien timide) mea culpa de leur impréparation, de leur imprévoyance, les responsables de ce pays espèrent un quitus, de même que la cigale espérait de la compréhension de la part de la fourmi. Mais si le peuple n’est pas versé dans la rhétorique ou la sémantique, il n’en est pas moins pourvu de bon sens, de sens commun diraient certains. Et dans ce discours, quelque chose lui semble insincère, travesti. Car si l’imprévoyance est, chez un individu, un trait de caractère, il n’en va pas de même pour un groupe, une société. L’imprévoyance des uns peut toujours trouver remède auprès des autres. Si la dispendieuse cigale avait consulté en temps et en heure l’industrieuse fourmi sur les raisons de son labeur, elle aurait appris que les belles saisons ne durent pas et qu’il faut engranger de quoi passer l’hiver, et sans doute en aurait-elle pris de la graine. Aux périodes de vaches grasses succèdent des périodes de vaches maigres. Les hommes politiques français seraient-ils dès lors plus cigales que fourmis ? En leur for intérieur, ils sont certainement précautionneux, avisés, et n’oublient pas d’inscrire leurs enfants dans des écoles catholiques où la discipline est encore de rigueur. Mais leur premier emploi est de convaincre les électeurs de leur accorder un mandat, aussi se doivent-ils de plaire ou de convaincre. Plaire certes, mais convaincre ! Convaincre de leur analyse du réel et des mesures qu’ils préconisent, mêmes impopulaires, ou convaincre qu’ils sont les hommes de la situation, les hommes qui ont entendu ce que veulent les électeurs et sont le plus à même de les y conduire ? Bref, plaire encore ! Dire la vérité ou dire ce que l’on veut entendre ? Nous ne trancherons pas ici ce débat mais nous observons que, le plus souvent, ils recourent à des éléments de langage, lesquels consistent à apprêter le récit pour qu’il soit entendable ou en retrancher les points irritants. Les hommes politiques préfèrent l’unisson de leur électorat à celui du réel, et si donc ils font un aveu d’imprévoyance en face d’une réalité qui les a pris de court, c’est que la prévoyance n’aurait été ni entendue ni comprise avant que cette réalité ne se manifeste. Si, depuis quarante ans, les hommes politiques ont laissé se délocaliser l’industrie, même dans les secteurs stratégiques, c’est qu’ils ont conduit une politique dont la délocalisation a été la conséquence, ou qu’ils n’ont pas conduit la politique qui aurait pu l’empêcher. Peut-être même en ont-ils été conscients mais, élus avec un autre mandat, ont-ils consenti à l’imprévoyance en se disant, on verra bien. Il est probable aussi que les hommes politiques prévoyants et incorruptibles sont sans mandat, évincés au profit d’hommes politiques moins pessimistes, moins réactionnaires. Nos regards se tournent dès lors vers l’électorat et il faut envisager l’hypothèse que les cigales y sont majoritaires, quand bien même d’aucuns, parmi les cigales, se voient plutôt en fourmi. Mais chacun ne se voit pas forcément tel qu’il est, et il faut prendre en considération le fait que les hommes politiques savent entretenir dans l’illusion cette partie indécise de leur électorat. Cette situation ne date pas d’hier, contrairement à ce que d’aucuns feindraient de croire. Elle n’est nullement apparue deus ex machina, par quelque opération mystérieuse qui aurait du jour au lendemain transformé les fourmis en cigales. Qu’on ne s’y méprenne pas, l’esprit d’un peuple remonte à la nuit de ses temps, et, s’il est composé en majorité de cigales, c’est que, génération après génération, s’est développée une tendance, une propension, encouragée, comme l’observait Tocqueville, par une certaine abondance naturelle, la tempérance du climat, tout un contexte qui incite à une certaine nonchalance que les faux-prophètes auront vite fait de présenter comme un art de vivre. Si vis pacem, para bellum, disait le Romain. Carpe diem, lui fut-il répondu. Oui, ne nous berçons pas d’excuses. Si les hommes naissent hommes, et les femmes, femmes, ils ne naissent pas irréversiblement cigales ou fourmis mais le deviennent. Je dirai même que les meilleures des fourmis sont celles en qui le caractère de cigale aura été contenu et subordonné à de plus hautes considérations que le seul épanouissement de l’homme autoproclamé souverain, citoyen d’un pays au même titre que le membre d’un club envers lequel il n’a d’autre devoir que le paiement d’une cotisation. On dit souvent qu’un peuple a les hommes politiques qu’il mérite. « De bonnes mœurs font plus d’effet là-bas, qu’ailleurs de bonnes lois », observait Tacite. Se pourrait-il qu’un pays qui se choisit des élites faisant preuve d’autant d’imprévoyance soit autant dépourvu de bonnes mœurs ?

Témoignage de Kathya de Brinon qui tient une ligne de soutien psychologique confinement : « Nouchka appelle vers 3 heures du matin. Elle dit qu'elle se prostitue au Bois de Boulogne. Elle a 32 ans, vient d'Europe de l'Est, elle a été amenée en France à 14 ans. Son maquereau a disparu au début du confinement, sans la payer. Pour manger, elle doit continuer à faire des passes. Elle survit ''en meute", avec d'autres filles dans la même situation qu'elle. Comme il n'y a plus d'endroit pour se réfugier, elle se lave avec des bouteilles d'eau, dort sur place dans les bois dans une tente mobile. Nouchka tousse beaucoup au téléphone, elle est épuisée, elle a de la fièvre. Malade du Covid 19. Les clients, qui sont toujours aussi nombreux, selon elle, mettent parfois un masque pendant la passe. L'un d'eux lui en a fabriqué un avec du papier toilette. Elle tousse encore et raccroche... Ces filles vendent leurs corps et leur vie avec, et elles sèment la mort. Ce sont des bombes à retardement. J'ai honte, on ferme les yeux sur ce qui se passe au pied de nos appartements confortables. Le lendemain, c'est une amie de Nouchka qui appelle, Liva, 25 ans, prostituée depuis ses 12 ans. Russe sans papiers, elle explique que sa fille de 10 ans a été placée par son proxénète "près de la mer". Elle voudrait que Kathya la retrouve… Liva, malade et fiévreuse elle aussi, tousse beaucoup. Un client lui a amené 3 bouteilles de whisky en lui disant que ça allait la soigner... Deux jours plus tard, Liva rappelle. La voix est dure, le message lapidaire: « Nouchka est morte, on l'a retrouvée dans le bois ce matin. On a creusé un trou et on a mis des feuilles dessus »… Le surlendemain, une troisième fille du groupe, Tara, appelle avec le téléphone de Liva. Elle dit qu'elle a 16 ans, que Liva lui a donné son téléphone avant de disparaître dans les bois. Elle parle avec un fort accent de l'Est, elle dit qu'il n’y a plus de crédit sur la carte, la ligne coupe. » (source L'Obs, 16/04/2020, page 43)

 

20 avril_J+34

L’étrange défaite ! Les années Quarante ! Les évocations et contributions sur cette période dramatique de l’histoire de France abondent. La France était occupée. Elle est à nouveau occupée, mais la comparaison s’arrête là. Elle n’est pas en guerre, contrairement à ce que laisse entendre le Pdt Macron qui espère des réflexes d’union nationale. Cette rhétorique serait burlesque si, une fois de plus, elle ne dissimulait la réalité. Penser que nous sommes en guerre entretien l’illusion de la possibilité d’une victoire et de retrouver la vie, comme avant. Or il n’y a aucun occupant à chasser. Nous sommes soumis à de nouvelles conditions environnementales, à la fois plus élémentaires et plus dramatiques. Notre espace est durablement affecté et nous ne sommes pas préparés à cette mutation (La France, du moins, semble moins préparée que les pays d’Europe Centrale). Notre économie repose sur les services et le tourisme, lesquels sont durablement compromis. Paris a cessé d’être une fête (le temps béni que chantait Hemingway semble toucher à sa fin) et les terrasses des cafés ne s’empliront plus jamais. La similitude avec L’étrange défaite (cf Marc Bloch) ne réside pas dans la lutte contre un nouvel occupant à vaincre, mais dans l’impréparation, la désinvolture, dans lesquelles nous sommes restés face à des calamités que les Cassandre pourtant avait entrevues.

« Pour le monde du spectacle, la crise du coronavirus est un tsunami », s’exclame une personne appartenant à ce monde. Oui, sans doute n’en restera-t-il que les spectacles qui ne prétendent pas seulement divertir. Louis de Funès et la Septième Compagnie ont vécu, qui entretenaient l’illusion que tout cela n’était pas si grave ! Il restera les musées (à condition d’en évacuer les horreurs de McCarthy et de J Koons) et les spectacles de rues où les spectateurs pourront se tenir à distance les uns des autres. Je ne sais ce qu’il restera de l’Opéra. Quant à la littérature, elle ne fait pas partie du monde du spectacle !

Avec le recul, le choix de Mitterrand, en 1981, a été calamiteux. De Gaulle a tenu hors de l’eau la tête du noyé en puissance qu’était la France de la IIIème République, saignée à Verdun, déconfite par le Blitzkrieg. Il y eut quelques années de rebond pendant les Trente Glorieuses, mais il a fallu que le pays retombe dans ses ornières en portant au pouvoir un homme de la Troisième, de la Collaboration, un homme qui a tant et si bien appris la comédie du pouvoir qu’il a su grimer sur ses traits inquiétants et prendre la semblance de l’espoir. Il y a du Faust chez Mitterrand.

Bien des choses vont changer dans la littérature, et pas seulement dans les circuits de diffusion. Trop de livres paraissent. Trop d’auteurs prennent la plume pour dire des choses qui ne sont peut-être pas importantes. Les textes, parfois, sont trop elliptiques, ils recherchent des effets de style au détriment du sens, de ce qu’il y a dire, de ce sur quoi il y a des choses à dire. Une raréfaction est nécessaire, peut-être à commencer par l’auteur de ce journal. Rilke disait au poète Franz Xaver Kappus : « Mourriez-vous s’il vous était interdit d’écrire ? » Question à vrai dire narcissique car on ne peut interdire à personne d’écrire sauf à l’enfermer dans un cachot. Et l’enfermement serait alors plus préjudiciable que l’empêchement décrire. Aussi convient-il peut-être à présent de s’adresser à l’écrivain en d’autres termes : « Est-il absolument nécessaire que le monde prenne connaissance de vos écrits ? » (Tout esprit de censure mis à part) Les auteurs sont menacés d’une sobriété semblable à celle qui s’est abattu sur Varlam Chalamov exilé dans la Kolyma : la madeleine de Proust n’y avait aucune place ! De même qu’elle ne parlait pas aux gueules cassées de retour de la Grande Guerre.

Cela a-t-il encore un sens de tenir un journal du déconfinement ? La France s’est donnée une date, le 11 mai, et pourtant nul n’ignore que les choses ne reprendront pas à l’identique de ce qu’elles furent avant le 17 mars. Le 11 mai marquera une transition, un assouplissement, mais en aucun cas un retour à la situation antérieure. Nous sommes en train de changer d’ère, comme diraient les climatologues lorsqu’ils décrivent le passage d’un état à un autre. Nous nous installons durablement dans une situation au jour le jour, ce qui relève de l’oxymore. Nous entrons dans un autre paradigme dont nous aurons à subir les contraintes et les menaces si nous restons dans une attitude au jour le jour. Il n’y a aura pas de terme ni à ce journal, ni à celui de quiconque en a entrepris la tenue. Nous ressemblons à des locataires forcés de quitter un appartement d’un étage élevé pour un autre, d’un étage inférieur où vient moins le soleil. Nous n’en habitons pas moins quelque part et, mus par une gratitude qui n’a pas lieu de se tarir, nous devrons nous en arranger. Ce journal n’en sera pas moins tenu au jour le jour mais il se place désormais dans une continuité. Il pourrait s’intituler : Un nouveau monde ! Une nouvelle vie ! Les quelques jours au cours desquels nous avons changé de monde !

 

21 avril_J+35

Les titres alarmistes abondent sur le site du Figaro :

Comment le laboratoire P4 de Wuhan, exporté par la France, a échappé à tout contrôle.

Incohérences et lourdeurs (administratives) suscitent la colère des soignants et des patients.

Nouveaux incidents en banlieue parisienne (des tirs de mortiers…)

Grigny-Villeneuve-la-Garenne : les trafiquants veulent éliminer toute présence policière.

Pierre Vermeren : La crise sanitaire, révélatrice du déclassement de la France

Il faut s’attendre sous peu à une tempête politique.

La centralisation de l’État a-t-elle ralenti le traitement de la crise ?

Etc.

Depuis 36 jours à présent, je vis en reclus. Mon sort sans doute est plus enviable que celui de nombre de mes concitoyens, exposés, en chômage partiel ou total, aux revenus plus incertains qu’une pension de retraite. Je me lève assez tard car je dors assez mal, peut-être par absence du bruit de fond urbain, lequel avait tout de même quelque chose de rassurant. Je pars aux provisions une fois par semaine, je prends alors des précautions de pleine conscience, masque, liste rigoureuse, éviter de porter les mains au visage, d’utiliser un chariot ou de toucher un montant de porte… Les recettes de cuisine me distraient, je les accommode à ma sauce, je ne pense pas au Covid à ces moments-là. Aujourd’hui, tendron de veau aux morilles, sauce au vin blanc ! De même, j’y pense moins lorsque je fais le tour du pâté de maison, 4kms quotidiens, toujours le même itinéraire dont je connais désormais presque tous les détails, je me concentre sur la coordination du souffle et de la marche. J’écoute peu de musique, l’intranquillité permanente m’en empêche. Seuls les airs d’opéra ont plus de force que la pesanteur. Wagner, Puccuni, Haendel, Purcell ! Lire aussi. Lire en revanche mobilise plus de concentration. Vigny, Hofmannsthal, les épitres de Paul. Écrire beaucoup : ce journal, de nouvelles nouvelles, en relire et parfaire d’anciennes. J’évite de m’informer sur BFM-TV, la fatuité des journalistes m’insupporte, toujours dans le spectacle de leur propre mise en scène. Je me tiens néanmoins informé, sensible à l’évolution du Covid et de sa maitrise autant qu’à l’ampleur du désastre que connait le pays dans lequel je vis, désastre que je pressens depuis des années déjà, en dépit du mépris d’amis qui ont voulu voir en moi un réactionnaire. Je répare les petites choses qui battent de l’aile dans ma maison, lorsque j’en ai les compétences. Je taille les rosiers, sème les graines qui me restent, tond la pelouse et m’efforce d’embellir le petit carré d’arbres fruitiers que nous arpentons régulièrement. Je cultive mon jardin.

Une crise pétrolière majeure serait en train de se dessiner.

Des milliers d’oiseaux seraient en train de « tomber du ciel » en Europe orientale.

La virulence du Covid serait due à un excès d’une certaine bactérie intestinale.

La mort de Dieu émousse le sens du sacré et prive de toute boussole susceptible d’indiquer la direction et les priorités.

Littérature et globalisation. Les choses se sont condensées de telle sorte qu’un best-seller aux USA sera traduit dans toutes les langues, du moins les bankables, et donc tiendra le haut du pavé pendant la période estimée par le marketing. L’accès au statut de best-seller répond lui aussi à un mécanisme parfaitement huilé : un bouquin répondant aux critères de perméabilité du marché, une maison d’édition aux reins solides, un bon réseau de distribution, une bonne campagne publicitaire et une critique laudative. Cerise sur le gâteau, parfois, le bouquin est bon. Ainsi de Philippe Roth, J. C. Oates et d’autres encore. Nombre de bons bouquins en revanche ne bénéficient pas de cet environnement favorable, ne seront pas traduits et leurs auteurs toucheront quelques kopecks en attendant des jours meilleurs. Le marché est globalisé à l’échelle mondiale, 80% des bouquins se bousculent autour d’un podium unique, leurs auteurs savent qu’on ne parlera que des cinquante premiers. Pour les 20% restants s’érigent d’autres podiums. Ainsi de la littérature basque : une langue spécifique, un lectorat dans une population de 5 millions de personnes et des auteurs qui émergent, voire sont traduits (Bernardo Atxaga…) L’exemple basque échappe à la globalisation. Ainsi se perpétuent une tradition, une culture. A contrario, 80% de la littérature entre dans des standards d’uniformisation dont les normes sont maîtrisées par celui qui bénéficie de la position dominante, à savoir les USA. Toute la littérature s’organise autour du podium dont ils contrôlent l’accès.

Bullit ! Thriller tourné en 1968 par Peter Yates, qui met en scène le duel entre deux policiers, l’un intègre et misanthrope, Steve McQueen dans le rôle de Bullit, l’autre, volubile et prévaricateur, Robert Vaughn dans le rôle de Chalmers. Le justicier et le manipulateur se confrontent autour de la protection d’un témoin dans une affaire de mafia, un certain Ross lequel se fait assassiner malgré la garde assurée par Bullit. Au cours de l’enquête, ce dernier est amené dans une course poursuite en voitures dans les rues de San Francisco qui entrera dans la légende, de même que le jeu sobre et maîtrisé de Steve McQueen, tout en présence et retenue, ou encore les trop brèves apparitions de Jacqueline Bisset, angélique. Au théâtre, le lyrisme racinien ou la verve shakespearienne ! au cinéma de longs travellings qui signifient en eux-mêmes, de longues respirations à l’issue desquelles les personnages reprennent pied de façon lapidaire. Tout est dit. Du grand cinéma !

 

22 avril_J+36

Les correcteurs d’orthographe de Fb semblent ne pas disposer, dans leurs lexiques, du terme relocalisation, lequel est certes un néologisme. Ils proposent aussitôt : délocalisation ! Et je mesure soudain toute la pensée unique souterraine qui est à l’œuvre dans les autoroutes de l’information.

Essayons d’envisager l’après ! La nature humaine n’aura pas changé. Homo homini lupus ! Peut-être même un peu plus, mais ne désespérons pour autant. Comment les paramètres (économiques) risquent-ils d’évoluer, quelles hypothèses prendre en compte et quelles préconisations formuler ? Tout d’abord la crise du pétrole. Une anti-crise si on veut prendre les choses dans le bon sens. Le baril s’effondre, l’offre excède la demande, les actifs des compagnies se déprécient, les actionnaires enregistreront une perte. Nul ne peut se féliciter de ce brusque revirement du marché du pétrole (Lorsqu’un marché de matières premières hégémonique, comme celui du pétrole, connait des fluctuations majeures, les déstabilisations des autres marchés, par effet domino, s’enchaînent). Si la crise sanitaire Covid19 persiste, et il y a tout lieu de penser qu’elle le fasse, alors les besoins en mobilité baisseront de façon durable, et donc aussi les besoins en énergies de mobilité. L’effet pour le climat pourrait être bénéfique, certes, mais délétère pour les économies, notre vie de tous les jours, notre pouvoir d’achat… Par ailleurs, toutes les activités de service et de tourisme (lesquelles supposent la proximité des personnes) connaitront un ralentissement important. Le tourisme en France représente 7% du PIB (soit quelques 140 milliards). Si donc on enregistre dans ce domaine une baisse de 50%, la perte sera d’environ 70 milliards. En revanche, nous sommes fondés à envisager quelques hypothèses favorables en matière de commerce extérieur. Il est possible que le solde négatif de notre balance commerciale s’amenuise. Il est d’environ 80 milliards en 2019 et pourrait descendre à 50 ou 40. D’autres mouvements de bascule de cette nature sont susceptibles de se produire. Il appartient à la puissance publique de les anticiper et d’aider les acteurs économiques. Des secteurs économiques bradés un peu vite par la globalisation anarchique devront être reconstruits, les PME de produits manufacturés, les circuits de distribution alimentaire de périmètre local. D’importantes masses d’argent seront nécessaires. Peut-être plus de 200 milliards. Pour le soutien immédiat des petites structures malmenées et des salariés en perte d’emploi, mais une partie significative de cette masse devra être consacrée à l’investissement dans les secteurs susnommés créateurs d’activité et d’emplois. En bref, il importe que la puissance publique se dote à nouveau d’un Commissaire au Plan ! Mr Keynes, vous êtes le bienvenu dans le monde du Covid !

 

23 avril_J+37

Verdun n’a-t-il pas été le dernier événement héroïque que connut ce pays ? Le Royaume du Couchant qui se prenait pour un empire n’a cessé depuis de glisser le long de son déclin. Les Années Folles résonnèrent tel un feu d’artifice indécent au milieu d’un peuple qui pansait ses plaies. Orgies et de saturnales. Le Blitzkrieg vint donner le coup de grâce (Mais qui dans ce pays tira les leçons d’un livre tel L’étrange défaite de Marc Bloch ?). De Gaulle, en Julien moderne, porta haut la flamme et tenta de rappeler les dieux congédiés. Ces derniers firent une brève apparition. Mais le peuple avait épuisé ses ressources d’héroïsme, il voulait désormais sortir de l’histoire et jouir sans entraves de l’abondance consumériste et de la dissolution des mœurs (considérée comme émancipation). Les années Mitterrand cependant ressuscitèrent tous les rêves nés pendant le Front Populaire. La gauche, au lieu d’instruire le peuple dans sa tradition et dans l’esprit des lois rivalisa d’adresse et de ruse pour agiter toutes sortes de chimères qui le détournèrent de son destin. Le mariage pour tous fut sans doute le point d’orgue de cette époque. Mais un royaume sans hiérarchies et sans limites ne se gouverne pas, il passe aux mains d’une technocratie qui tire sa prébende des normes qu’elle administre. L’esprit d’entreprise y est sévèrement contrôlé, de même le corps médical en lutte contre le covid19 s’est vu entravé par une technostructure qui ne rend pas de comptes au peuple. Le désastre annoncé par le Covid19 ressemble au saccage du quartier sacré d’Antioche (cf, Daphné d’A.de Vigny) au Vème siècle après JC.

Dardanus, opéra de J.P. Rameau, hier soir en ligne. Trois heures de pure joie.

Vigny fut un visionnaire. La relative pénombre qu’il connut de son vivant, et depuis, tient à ce fait que, luttant contre la pente du siècle, il voyait l’avenir sombre réservé à tout pays qui se détourne de sa tradition. Personne n’aime prêter oreille aux Cassandre, on leur préfère des Dumas, des Hugo, des Proust !

Parallèle entre la sortie du confinement et la grande peste qui frappa l’Empire d’Orient sous Justinien au VIème siècle. L’empire survécut mais exsangue, incapable, fautes d’hommes et de ressources, d’administrer un territoire aussi vaste. La France d’après le Covid19 gardera-t-elle le contrôle des 150 territoires perdus de la République ?

La France ne cesse de pâtir de la place excessive faite, dans son hagiographie, à la Résistance durant la seconde guerre mondiale. Elle se donne l’illusion d’une nation héroïque alors même que l’héroïsme était le fait d’un très petit nombre et que l’immense majorité emboitait les pas du Maréchal. Il en est resté une distorsion embellissante mais néfaste dans sa lucidité sur elle-même.

 

24 avril_J+38

Au fil des temps s’est constituée, chez moi aussi, une malle pleine de livres. J’en ai extrait un vieux manuscrit Vous dansiez, mourrez maintenant ! Polar dont le personnage principal est une jeune danseuse, femme libre, trop libre, Isa. Ce personnage trouve aujourd’hui une seconde vie dans une nouvelle Bien vivante. Il n’en trépasse pas moins.

 

25 avril_J+39

Tandis que les banlieues s’embrasent sous l’œil bienveillant de Castaner, des citoyens inoffensifs sont verbalisés. (Média-presse-info)

Des policiers zélés font irruption dans une église pour interrompre une messe ! Les repères vacillent, notamment ceux du sacré. Attendons-nous à des faits divers d’infanticides, de cannibalisme. L’État a bien cautionné une forme d’euthanasie des vieux dans les Ehpad.

Le bâtonnier de Romans-sur-Isère, Thierry Chauvin, chargé de l’instruction de l’attentat islamiste, démissionne après la publication d’une tribune signée par certains de ses confrères, lesquels revendiquent leur fraternité avec l’assassin.

Le gouvernement envisage de renflouer Air France à hauteur de 10 milliards. C’est une décision politique d’importance, prise de façon discrétionnaire. Certes, cela permettra d’éviter une faillite et de sauver l’emploi d’une quarantaine de milliers de personnes, mais cela n’en constitue pas moins un signe fort de ce que sera le monde d’après. Que ceux qui avaient fondé quelques espoirs dans un grand soir général reviennent à la realpolitik : Le monde d’après sera comme le monde d’avant, mais en moins bien. Priorité sera donnée au tourisme intercontinental et aux marchés de grande consommation. Les billets d’avion seront un peu plus chers, mais cela ne dérange pas les hauts revenus. Ceux qui, en revanche, regarderont à nouveau passer les aéronefs au-dessus de leurs têtes devront ne compter que sur eux-mêmes pour organiser les marchés locaux, ceux qui permettent de faire vivre le producteur local avec une dépense minimale de fuel et de kérosène. Fallait-il soutenir une compagnie aérienne ou sauver les petites structures, les artisans, faciliter l’émergence d’anciens métiers disparus tels les cordonniers, les ferronniers, les menuisiers, les tisserands, etc. qui seuls permettront que ne sombrent pas les zones rurales, mal aimées des technostructures mais réservoirs d’âme du pays ? J’aurais aimé que de cela il fût débattu !

Le monde d’après ressemblera-t-il au monde d’hier ? Ce que nous savons aujourd’hui de la pandémie nous laisse craindre qu’il n’en soit pas ainsi en ce qui concerne notre environnement. La proximité semble durablement compromise, et avec elle toutes les prestations de service qui supposent de la proximité, c’est-à-dire presque toutes, sans parler de la confiance ! Pourrons-nous encore accorder notre confiance sans aussitôt nous voir assailli par un cortège de questions, auquel le port du masque nous remémorera sans cesse ? Cette transformation, ce changement de paradigme supposent une plus grande responsabilité individuelle, locale, etc. ainsi que des délégations pour faciliter les initiatives et insuffler une dynamique locale (J’en veux pour exemple ceci : la métropole de Bordeaux dispose encore d’un généreux foncier non bâti propice aux cultures maraichères…). Hélas, les signes que donne la technostructure laissent craindre, à l’inverse, un renforcement du pouvoir régalien et central. Le gouvernement produit une communication auto satisfaite de son action, là où des observateurs libres parlent d’incurie et d’incompétence. Les tenants d’un tel pouvoir ne seront pas incités à pratiquer le mouvement de décentralisation nécessaire aux délégations locales. L’État au contraire semble tout vouloir contrôler, asseoir sa mainmise sur tous les secteurs, intégrer les initiatives privées dans l’action du gouvernement… Aussi, de ce point de vue, pouvons-nous craindre que le monde d’après ressemble au monde d’avant !

 

26 avril_J+40

Sous la pression de la diplomatie chinoise, l’UE temporise dans les conclusions de son rapport sur les circonstances dans lesquelles la pandémie du coronavirus a pris naissance en Chine.

Une chroniqueuse part du postulat suivant : « la pandémie a surpris tout le monde. » C’est à mon sens une généralisation abusive car bien des gens avaient prévenu, alerté, non pas précisément à propos de cette pandémie, mais à propos de la survenue d’une catastrophe majeure qui donnerait la dernière chiquenaude au château de cartes des économies mondiales, car ce qui est à craindre, ce ne sont pas les inévitables et regrettables victimes directes de la pandémie, mais l’effondrement des économies qui en produira bien davantage ! Hélas, nul n’écoute aussi peu que celui qui a décidé de ne pas écouter. Ils ont des oreilles pour entendre et n’entendent pas, ils ont des yeux pour voir et ne voient pas

Le 28 avril prochain, les parlementaires français seront amenés à s’exprimer sur une application de traçage électronique, généralisée et prétendument sans risques (pour la démocratie et le respect des libertés), Stopcovid. Les uns prétendent qu’elle permettra de sortir les Français de leur situation d’assignation à résidence. Les autres, qu’elle ne sera que le prélude d’une sorte de bracelet électronique généralisé digne des dystopies les plus sombres d’A. Huxley ou de P.K. Dick. Les parlementaires LaRem estiment que c’est une question technique qui n’a pas à faire l’objet d’un débat. L’opinion publique semble très très très peu sensibilisée sur une question qui pourtant n’est ni plus ni moins que la restriction, à de nobles fins sanitaires, la plus importante de la liberté conquise en 1789.

Gorgias de Platon, le politique et le sophiste ont parties liées. A développer…

Il s’est dit beaucoup de choses à propos des tyrannies d’État ou des dictatures et le jugement est souvent faussé par les singularités des régimes fascistes du XXème siècle, italien, allemand ou russe. Elles présentent toutes cependant un point commun : elles interviennent à la suite d’une longue période de déclin et de décadence, d’incertitudes et de troubles, d’horizons à court terme et de postures hédonistes, au cours de laquelle les voies à suivre n’apparaissaient pas clairement. Se pressaient alors, aux portillons du pouvoir, d’innombrables harangueurs plus soucieux d’y entrer que de l’exercer à bon escient. Dans ces conditions, le pouvoir change souvent de mains et l’opinion publique est moins prompte à se déterminer politiquement qu’à redouter ou fuir quelque épisode calamiteux de son passé. Dans la France du XXème siècle, il s’agissait des heures les plus sombres du régime vichyste et il n’a pas manqué de forces politiques pour agiter à satiété cet épouvantail, au point que les élections présidentielles, indépendamment de la qualité des programmes exposés, ont avant tout consisté à choisir le candidat le moins soupçonnable de pensées nauséabondes. Le pouvoir passe entre les mains de moins-disant successifs dont la moralité supposée l’emporte sur l’efficacité politique, et les pays ainsi dirigés glissent vers leur déclin par l’incapacité de leurs dirigeants à tenir un discours de vérité sur lequel leurs adversaires, en bons sophistes (cf le Gorgias de Platon) s’acharneraient jusqu’au discrédit. Il suffit alors d’un événement extraordinaire, climatique, sanitaire ou économique pour accélérer ce déclin et conduire à une situation d’urgence que les tenants du pouvoir (choisis pour leur moralité et non leurs capacités à diriger. Rappelons-nous que les macronistes se présentaient au départ comme des amateurs de bonne volonté) peinent à gérer, voire gèrent de façon calamiteuse. La tentation est alors grande d’en appeler à l’union nationale et de déployer une rhétorique polémologique qui transforme tout opposant en adversaire voire en ennemi. De tels dirigeants sont à même de considérer la suspension des libertés publiques comme des mesures techniques destinées à leur laisser carte blanche, alors même que le bon sens, ou la common decency, voudrait qu’ils remettent en cause leur mandat et permettent au pays de se donner un gouvernement compétent. La tyrannie d’État s’installe toujours dans des conditions de cette nature.

Les (mes) personnages du monde d’avant continuent de me faire signe, ils me convoquent, ils exigent de moi que je mette un point final aux textes qui leur servent d’écrin et me témoignent l’impatience que mérite un tailleur qui rechigne à éliminer les surpiqures. Dans le même temps, me sollicitent des personnages du monde d’après, non pas celui que nous connaissons, confiné, figé, assommé par la soudaineté d’une pandémie (ce monde diffère peu de celui d’avant, la transformation qui y est à l’œuvre n’est pas encore apparente, elle ne se manifestera que progressivement) mais un lointain monde d’après, lorsque la transformation sera achevée et qu’il retrouvera un point d’équilibre. Et je me perds en conjectures pour situer cet après. Six mois ? Un an ? Deux ans ? Plus ? Le matériau qui requiert les attentions de ma plume est aussi instable qu’un atome de plutonium ou que des œufs battus en neige. Il importe de prendre en compte des hypothèses plausibles, d’évaluer dès à présent l’ampleur de la transformation. Ce qui, il y a quelques mois encore, relevait de la science-fiction, se transforme en objet de littérature blanche, quoique d’une grande noirceur. Nous allons connaître de vraies heures sombres et non pas le retour de celles qui servaient aux sophistes de la fin du XXème siècle à gripper la machine politique. Jamais l’objet de la littérature n’a été autant lié à l’actualité du monde. Je travaille dans une chambre dont la porte ne ferme plus et, à chaque instant, me parviennent des clameurs et des échos qui me contraignent à réajuster la littérature. Un auteur ne saurait se désintéresser des bouleversements à l’œuvre dont il lui appartient, autant qu’aux experts, aux journalistes et aux politiques, de saisir l’ampleur, le sens et l’oracle.

 

27 avril_J+41

Le traçage électronique, ou le diable est dans les détails. Les gouvernants pensent avec leurs tripes lesquelles sont bien molles. La crainte de laisser se mourir d’autres concitoyens par leur imprévoyance actuelle les terrorise (alors même que le désastre sanitaire est la conséquence de leur imprévoyance passée, ils sont prêts du reste à toutes les incantations pour que celle-ci disparaisse des mémoires). Aussi s’empressent-ils de déployer tous les arsenaux technologiques, sanitaires et administratifs pour garder et renforcer le contrôle de la situation. Le traçage électronique des citoyens (les malades d’abord, puis tous les autres) apparaît à leurs yeux comme le nec plus ultra de tous les outils. Que les libertés individuelles soient réduites et rognées n’est qu’un dommage collatéral qu’il convient d’assumer. Les députés LaRem du reste ne comprennent pas pourquoi cette disposition, technique selon eux, devrait faire l’objet, à l’Assemblée, d’un débat et encore moins d’un vote. L’État veut absolument garder la main, celle-ci fût-elle de fer. Incapable de se transformer lui-même, l’État est paniqué à l’idée d’être balayé par la contestation, aussi multiplie-t-il les gardes fous. La panique le rend aveugle et il lui échappe cette chose pourtant évidente lorsqu’on prend un peu de distance : les régions, les départements, les entités locales seraient mieux à même de prendre les décisions compte-tenu des particularités de leurs territoires mais cela suppose d’importantes délégations (la plus élémentaire étant de ne plus dépendre d’une ARS qui ne rend de comptes qu’à Paris). Dans un réflexe de survie, l’État veut se renforcer et augmenter l’épaisseur de la chape de plomb alors même qu’il devrait lâcher du lest. Le modèle fédéral d’organisation territoriale l’emporte largement en efficacité lorsqu’il s’agit de faire face aux situations de crise.

 

28 avril_J+42

L’après-confinement selon Boris Cyrulnik : « On aura le choix entre vivre mieux ou subir une dictature, qu’elle soit politique, financière, religieuse ou liée à l’hyper-consommation ».

En titre dans le journal Le Parisien : « Policiers ciblés à Colombes : le mobile trouble de l’assaillant au cœur de l’enquête. Ce lundi soir, un jeune homme de 29 ans a foncé en voiture sur des policiers, faisant deux blessés graves. Il a évoqué Gaza, la Palestine et l’État islamique. »

En ces temps troublés, il importe avant toute chose de penser le changement qui est à l’œuvre, d’en évaluer l’ampleur, les ramifications, les conséquences…, de constituer une grille de lecture, évolutive, et de la confronter en permanence à la réalité des événements. Pensée itérative… ! Et les questions qui, à mes yeux, se posent à priori :

le monde d’après ressemblera-t-il au monde d’avant et, a contrario, à quel degré lui sera-t-il différent ?

l’équipe au pouvoir s’engagera-t-elle dans un mouvement de réforme et de décentralisation ou accentuera-t-elle l’emprise de l’État ?

les communautés dissidentes (notamment la communauté musulmane) accentuera-t-elle ou réduira-t-elle la fracture ?

Sobriété, pragmatisme et humilité ! Le Premier Ministre Édouard Philippe a prononcé, à l’Assemblée, un discours sur les modalités et phases du déconfinement envisagé à partir du 11 mai. Deux réflexions. D’une part, une volonté de mettre en place un dispositif réactif, capable de mesurer des variations au jour le jour et de donner des alertes quant aux infléchissements nécessaires. D’autre part, la reconnaissance de l’hétérogénéité territoriale et la volonté d’accorder aux autorités locales, départementales, quelques marges de manœuvre. La grande improvisation de l’action gouvernementale jusqu’à ce jour incite cependant à la plus grande prudence. Aussi, wait and see !

 

29 avril_J+43

Peu confiante à l’encontre des promesses de la technocratie française, et à l’invitation de la mairie, ma mère âgée, 88 ans, alsacienne et admirable, s’est mise à confectionner des masques de confinement au rythme d’une dizaine par jours. Empêchée de rendre visite à mon père à l’Ehpad, elle a bravé l’interdiction en contournant le bâtiment et en lui faisant signe à travers la fenêtre, la chambre étant située au rez-de-chaussée. Il lui est permis à nouveau de rendre visite par le truchement d’une sorte de parloir aménagé, et je dois rendre hommage au personnel de l’Ehpad qui s’est mobilisé pour réaliser des prodiges, même si les visites prennent des allures de parloirs de prison. L’Ehpad par bonheur n’a pas été touché par l’épidémie et mon père, grabataire, est resté lucide sur la situation (qui résulte du confinement auquel l’État français s’est vu contraint de recourir, en lieu et place de la quarantaine des seules personnes infectées, lesquelles n’ont pu être détectées par absence de tests. Cette absence résulte elle-même d’un état de désinvolte impréparation et d’incompétence d’élites incapables de s’entourer de conseillers ayant l’intelligence de la situation. De surcroît, la chaîne de commandement a failli une fois de plus, tétanisée et de très faible réactivité, et les drames humains qui se sont joués dans les Ehpad ne constituent pas le moindre des scandales dont les responsables auront à répondre. Mais en répondront-ils ?)

Des rumeurs de plus en plus insistantes circulent sur des consignes LATA qu’aurait données le gouvernement au milieu hospitalier à destination des personnes de plus de 75 ans, atteintes. (Limitation et arrêt des thérapeutiques actives)

 

30 avril_J+44

Crise sanitaire ou crise culturelle ?

La crise du Covid19, sanitaire ou culturelle ?

La culture est une dimension subtile de l’esprit qui ne se manifeste que par ses effets et son absence est aussi imperceptible que la lumière pour un aveugle. La crise que nous traversons, que la France et d’autres pays traversent comme elle la traverse, a révélé de profondes carences. Celles-ci n’apparaissent qu’en comparaison des stratégies déployées et des résultats obtenus par d’autres pays, et les élites chargées de la conduite du pays semblent ne pas être en mesure d’évaluer ses carences. Pourtant, il ne manque pas d’esprits cultivés et avisés, il ne manque pas non plus d’experts reconnus dans leurs domaines de compétence, mais il semblerait que les uns et les autres aient été absents dans la gestion de cette crise. Leurs voix se sont certes fait entendre, mais de façon marginale, en dehors des instances d’administration et de décision parmi lesquelles ils ne siégeaient pas.

L’État français du reste ne souligne que le caractère sanitaire de la crise sans aborder le caractère anthropologique et civilisationnel. Les choses se passent comme si les responsables en charge de la conduite des affaires publiques étaient incapables de recul et de hauteur, qu’ils administraient le pays au jour le jour selon des réflexes paniqués d’action et de réaction, mais sans réactivité intelligente1, dans un fort contexte d’improvisation. Les démentis succèdent aux prises de position hasardeuses et bravaches, exprimées avec la désinvolture de qui est investi d’un pouvoir dont il ne mesure ni les responsabilités ni la gravité. La comédie des masques serait comique si elle n’était pas grotesque, et l’incapacité de mettre en œuvre des procédures efficaces d’appels d’offre pour l’acquisition de masques et de tests est proprement scandaleuse. Le pays pourtant ne manque pas de virologues, d’experts, de collapsologues2 et de stratèges qui avaient anticipé le type de crise qui l’a surpris dans son impréparation. Toutes ces personnes savaient comment réagir avec hauteur, du moins ils en avaient une idée, ils avaient recommandé des anticipations, mais ils ne sont ni au pouvoir ni dans les cercles proches du pouvoir.

Je suppose, je me vois dans l’obligation de supposer que les hommes au pouvoir se sont entourés de jeunes énarques, avocats et sociologues bardés d’instruments de mesure et de statistiques auxquels, précisément, quelque chose fait cruellement défaut. De l’expertise dans des champs scientifiques, médicaux et techniques, sans doute, ils en pallient l’absence en suscitant d’innombrables comités, cercles de consultants et commissions. Mais aussi de ces choses difficilement mesurables que sont l’autorité et la culture. Peut-être parce que les hommes de pouvoir en manquent eux-mêmes et qu’il leur manque aussi l’humilité de s’entourer de personnes3 qui pourraient leur en remontrer, souligner leurs propres carences, et ce manque est déjà révélateur d’une absence de culture4.

Il faut certes que les hommes de pouvoir s’entourent de jeunes énarques capables d’appréhender dans son ensemble une situation donnée5 et de trouver les éléments de langage, mais il faut aussi des hommes de savoir et de culture pour en identifier les perspectives et les angles morts, pour les interpréter et mettre en évidence ce qui dans les événements reste caché. Et pour être entendus, ces derniers doivent disposer d’autorité, vertu qui résulte à la fois de la compétence et du crédit accordé à celle-ci. A l’évidence, de tels hommes ne se trouvaient pas dans les cercles rapprochés du pouvoir et leurs voix sont restées inaudibles au milieu du vacarme médiatique auquel se livrent Mme la Secrétaire d’État chargée de communication de l’Élysée6 et les journalistes de BFM.TV.

Cette crise pose dès lors la question cruciale de la sélection des élites et de leur accession aux responsabilités. En 1940, le généralissime Weygand7 faisait le constat, amer, de l’inefficacité de la chaîne de commandement, laquelle avait déjà failli de façon dramatique lors de la guerre de 1870 contre l’Allemagne prussienne. Bien des pages écrites par Marc Bloch8 ou par Rebatet9 restent d’actualité pour décrire la calamiteuse10 gestion de la crise par les hommes en charge des responsabilités. La France non seulement n’a rien appris de son histoire mais la désuétude dans laquelle est tombée la culture, la culture générale, les humanités, la maîtrise des langues mortes jusques aux langues vivantes, la connaissance de l’histoire, le goût des arts et de la littérature, cette désuétude induit cette situation absolument paradoxale que la France ne sait plus même qu’il y a quelque chose à en apprendre. Mais le Moyen-âge lui aussi ignorait qu’avant lui vivaient des Virgile, des Cicéron, des Pythagore, des Aristote, etc., hormis quelques esprits curieux lesquels, souvent ermites ou confinés dans quelque ordre régulier, se sont chargés de sauver ce qui pouvait l’être jusqu’à ce que le sens commun veuille à nouveau s’en emparer et en tirer gloire.

« Avant de guérir quelqu’un, demandez-lui s’il est prêt à abandonner les choses qui le rendent malades » (Hippocrate)

 

3 mai_J+47

Fragilité des démocraties. Confinement, verbalisations, Stop-covid, fichier informatique des malades, vaccination obligatoire, « brigades des anges-gardiens », etc., les signes de restriction des libertés publiques semblent se multiplier au nom du primat de la santé sur toute autre considération (on peut se demander si les élites en charge du bien public sont aussi soucieux de la santé publique que de leur propre allégeance à la doxa humanitariste, laquelle sert d’échelle des vertus…). Un pays dont les citoyens sont susceptibles d’être suivis à la trace par une puce électronique ou sommés de rendre compte de chaque instant de leur emploi du temps, au nom du bien public, un tel pays est-il encore une démocratie ? Les citoyens y sont-ils encore en mesure d’exprimer leurs suffrages lors des consultations électorales ? Il convient cependant de mettre ces mesures en perspective historique. Elles semblent arrivées deus ex machina ou ex abrupto mais trouvent un début d’explication dans l’état d’impréparation, de désinvolture, de déliquescence presque, du pays face à une catastrophe non envisagée quoique prévisible (et prévue par nombre d’experts et d’oracles). Pendant de longues décennies, les esprits se sont bercés dans une utopie qui enseignait la fin de l’histoire, la fin des territoires, la fin des nations, la fin des peuples, la sécurité universelle et la concorde heureuse. Et il ne manquait pas de tribuns pour en chanter les vertus. Fols, fredons et fardafets, aurait dit Rabelais. Les événements prennent leur temps mais ils sonnent toujours le glas des utopies. La planète est à la fois un paradis terrestre mais aussi un écosystème instable qui invite, en permanence, à rester sur ses gardes. Si vis pacem, para bellum ! Les démocraties cependant prospèrent pendant les années de vaches grasses et s’installent dans une certaine langueur, elles suscitent des vocations, elles se tournent vers les doxas qui plaisent à leurs opinions publiques, lesquelles, flattées (« Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute », La Fontaine. Corollaire : tout flatté engraisse celui qui l’amuse !) sont plus sensibles au souhaitable qu’au probable. Ainsi chassent-elles ces Cassandre qu’elles estiment être des oiseaux de mauvais augure ! Et, lorsque viennent les années de vaches maigres, deviennent-elles la proie de quelque tyran qui œuvre à leur bonheur urbi et orbi. (publié Boulevard Voltaire)

Perception du sacré. La vie, la mort, le sang, le sexe, la naissance, autrui, la propriété, etc. constituent les occurrences en lesquelles le sacré se manifeste avec force, à condition de consentir à cette terreur, mystique, qui incline à délaisser les prérogatives individuelles au profit de la totalité, du monde manifesté et révélé dont l’homme n’est qu’un infime grain de poussière. Cette attitude, d’humilité, n’est cependant que l’effet de la perception, de la conscience, lesquelles, parfois, succombent à une sorte de vertige ou d’éblouissement qui peut leur fait paraître toutes choses comme absurdes.

 

4 mai_J+48

« Dans une situation d’épidémie, plus encore qu’en temps ordinaire, la participation volontaire de tous est plus efficace que la soumission plus ou moins réticente -et, on le constate, de moins en moins effective- aux décisions parachutées d’en haut. » Etienne Perrot, jésuite

« La confiance n’exclut pas le contrôle », le ministre de l’intérieur Castaner citant Lénine

Un décret du 23 avril, passé totalement inaperçu (ce n’est pas une moindre calamité que la presse française, pourtant tenue comme toute presse à une information pluridisciplinaire, se cantonne au seul sujet à la mode) annonce la fermeture prochaine de 14 réacteurs nucléaires français (sur 54). Le manque à gagner énergétique sera compensé par de l’énergie intermittente (éolien, d’un coût de production doublé) complété par de l’énergie fossile (charbon…) dans un pays dont la population croît et les besoins en énergie augmentent. Nous aurons donc cette conséquence réjouissante d’un renchérissement d’environ 25% du coût énergétique et d’une augmentation non négligeable des émissions de CO2. Mais les écologistes antinucléaires seront contents.

« Rouvrir tous les lieux de culte n’est pas la meilleure idée pour lutter contre la promiscuité… Je pense que la prière n’a pas forcément besoin de lieu de rassemblement où on ferait courir un risque à l’ensemble de sa communauté religieuse » Le ministre de l’Intérieur Castaner au micro de RTL.

Les Échos titrent : « L’économie française ralentit plus fortement que celle de la zone euro. » Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un guide suprême, petit père de son peuple affligé !

La mort qu’on voit et celle qu’on ne voit pas. La mort est insoutenable aussi faut-il le secours de quelque haute idée ou peut-être d’une croyance pour en supporter le spectacle. A moins qu’on ne la cache ! Dans l’anonymat des métropoles où l’âme s’en va en silence, n’éveillant d’autre effroi que celui de quelques voisins au passage des déménageurs qui vident l’appartement. Dans la relégation des établissements hospitaliers où les visites finissent en calvaire. Lorsqu’il n’y a plus de communauté, la mort se cache et se commet en secret, le tocsin depuis longtemps a renoncé à couvrir le bruit des villes et les offices mortuaires réunissent quelques rares proches en toute discrétion. La mort qu’on ne voit pas n’effraye pas non plus, elle se contente de remplir de terreur celui qui s’en va, une terreur d’autant plus grande que les rives du Styx ressemblent à quelque chambre au milieu d’appartements où les voisins continuent de déplacer des chaises qui raclent et à fermer des portes qui claquent. La barque du passeur Charon accoste sous les décibels de la télévision de l’autre côté de la cloison. Souvent, il ne se trouve pas même une âme pour recueillir le dernier râle. Les âmes s’emploient à vivre, elles n’ont pas le temps de mourir, elles n’ont pas le temps d’y songer, elles n’y songent pas du reste, elles sont élevées dans l’illusion de la jeunesse et de l’éternité. Nul événement dramatique ne les a trempés dans son creuset, alors elles croient que le temps des événements dramatiques est révolu. Si vis pacem, para bellum, et quoi encore ! Carpe diem, en version consumériste ! Après moi le déluge ! Mais les Parques font leur moisson où bon leur chante et, parfois, un homme tombe du haut d’un pont, des promeneurs sont exécutés par des terroristes, le cadavre d’un enfant échoue sur une plage de la mer Égée, des nettoyeurs s’enfoncent dans le ventre d’une centrale en fusion, des individus traversent une mer à bord d’embarcations deux fois trop petites, des individus se mettent à tousser et finissent pas étouffer sans qu’on sache pourquoi, etc. La mort qui s’invite dans un monde d’où elle a été chassée effraie, affole, jette les esprits dans l’hystérie. Les journalistes s’emploient à en multiplier les images comme dans un kaléidoscope et deviennent les maîtres de cérémonie. Les caméras attendent les rescapés sur les plages, plus nombreuses que les sauveteurs, elles se promènent dans les couloirs de hôpitaux, elles déforment la réalité du monde et la restreignent aux seuls lieux où la mort s’invite sans qu’il soit possible de la cacher. Les caméras déroulent le spectacle obscène de la mort et privent les maîtres du monde de toute espèce de lucidité.

 

5 mai_J+49

Carence ou excès d’État ?

Il est dans la nature des crises d’accélérer le temps et de mettre en évidence ce qui d’ordinaire retenait l’attention des seuls observateurs attentifs. La crise du Covid19 a particulièrement touché la France et placé cette dernière parmi les mauvais élèves du monde occidental. Les résultats sont accablants et ne peuvent être passés sous silence, absence de masques, absence de tests, absence de lits médicalisés, absence de réactivité à la fois pour prendre la mesure des choses, pour déclencher les mesures adéquates et pour mettre en œuvre les processus de réapprovisionnement, absence de plan réaliste de déconfinement, etc. Les responsables en charge du bien public et du pouvoir ont fait preuve d’amateurisme, de désinvolture, voire d’outrecuidance et d’incompétence. Cette carence désormais avérée est-elle pour autant le symptôme d’une insuffisance des structures de l’État ?

Le chat est le seul animal domestique qui nous tolère sans nous manger dans la main. Et, bien plus qu’un animal sauvage d’observation malaisée ou périlleuse ou acrobatique, il nous enseigne que nous ne sommes pas les seuls hôtes des territoires que nous croyions avoir quadrillés pour notre seul profit. La propriété n’est qu’éphémère, disputable par une espèce plus prédatrice. Les territoires des différentes espèces se superposent quoique, d’un plan à l’autre, les contours soient différents. Le chat nous apprend à penser. Il nous tient parfois compagnie mais, la plupart du temps, nous ignore de sa souveraine indifférence.

 

6 mai_J+50

Confinés ou tétanisés ?

Que nous arrive-t-il ? Que nous est-il arrivé ? commencent à se dire quelques esprits que le confinement n’a pas totalement privé d’oxygène. Pas moins de vingt-six mille décès à ce jour, religieusement comptabilisés par un Pr Salomon fidèle au rendez-vous de 19h30 ! Vingt-six mille, cela n’est pas rien et nous nous garderons de toute espèce de désinvolture à leur encontre. D’autant plus que nombreux furent ceux qui décédèrent dans la solitude de leurs établissements hospitaliers, interdits de visite et de présence de leurs proches, nombreux furent ceux aussi auxquels un interne aura apposé à l’orteil l’étiquette LATA (limitation et arrêt des thérapeutiques actives) caractéristique des systèmes de santé dépassés. Que nous est-il arrivé ? Paralyse-t-on un pays, un continent entier, pour la grippe saisonnière, le tabagisme, le cancer de la peau… ? La sixième puissance du monde n’avait-elle pas tous les atouts pour prendre les meilleures décisions ? Cependant, empêchés par une centralisation excessive, les responsables locaux, départementaux… ne disposaient pas de marges de manœuvre pour adapter les mesures à leur contexte. Si le Haut-Rhin et l’Oise relevaient de mesures drastiques, fallait-il imposer celles-ci à tout le pays ? L’État, au sommet, décide. Les Agences Régionales de Santé, chevilles ouvrières, mettent en œuvre et les instances locales appliquent. Cela fonctionne par temps ordinaires mais quand les organes de presse, en théorie chargés d’une information pluridisciplinaire et factuelle, se focalisent sur la crise et constituent une sorte de cour d’instruction permanente, ce n’est plus la même chanson. Ce furent deux mois d’émotion pure et continue, tous les autres sujets relégués dans l’insignifiance. Les responsables politiques jusqu’au Président se voyaient cités à comparaître et sommés de rendre compte. La peur gagnait tous les étages. Empêcher la mort de saisir par le virus faisait oublier que la mort avait cent autres moyens de saisir et qu’elle s’employait à escalader les murailles dégarnies. Jamais de mémoire d’homme on n’aura vu le monde médiatique créer une telle distorsion autour d’un phénomène sanitaire. Une panique de cette nature était-elle pensable il y a cinquante ans ? Sous couvert d’information, les médias ont multiplié les propos inquiets des seuls experts du monde médical et les images d’ambulanciers qui se ruaient sur les Urgences, entretenu une sorte de psychose et mis en tension l’opinion publique. La belle affaire ! D’une crise de saison, ils ont fait la crise du siècle, mais tu les conséquences autrement désastreuses de la paralysie. Il faut avoir beaucoup d’aplomb et d’estomac pour garder la tête froide et résister à tant d’injonctions. L’équipe au pouvoir, très amatrice, n’avait ni l’un ni l’autre, sa communication était chaotique, et, tantôt désinvolte, tantôt affolée, elle a perdu un temps précieux et pris la décision la plus violente qui soit, celle du confinement ! Même pour la peste, on se contentait de mettre en quarantaine. Mais, last but not least, il est à craindre que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets lors du déconfinement. La centralisation du pays empêche d’agir ceux qui sont les mieux à même d’apprécier les situations locales et particulières. Et là où il faudrait audace et courage, voire prise de risque, les responsables songent avant tout à se couvrir des foudres de l’appareil juridique dont, décennie après décennie, ils n’ont cessé d’étoffer l’arsenal, sous la pression du reste d’une opinion publique à la fois prompte à monter aux barricades et avide d’état-providence. « Quand un peuple n’a plus de mœurs, il fait des lois », déplorait Tacite. L’État est partout, omniprésent, protéiforme, aussi malhabile qu’un géant englué dans les sables mouvants. Il confisque de surcroît presque tous les leviers. Et lorsque survient un événement contraire comme une pandémie, il ne manque pas de journalistes de l’information continue pour commenter la tétanie au spectacle de laquelle ils prennent part. (publié Boulevard Voltaire)

 

8 mai_J+52

« Pas de contacts, pas de restos, pas de matchs, bienvenue dans une vie sans plaisirs », titre Natacha Polony dans Marianne.

 

9 mai_J+53

Notre malheur vient de ceci : nous sommes des héritiers mais nous l’ignorons. Pire, nous professons de ne pas en tenir compte. Nous sommes héritiers d’un patrimoine que nous déclarons nul et non avenu, hommes nouveaux dans l’âme de qui peut se greffer n’importe quel courant de vie, comme un fleuve détourné de son cours. Notre âme cependant continue à vivre tant bien que mal avec le patrimoine que notre esprit n’honore plus. Nous sommes les descendants de ceux qui nous ont précédés mais ces derniers avaient un destin. Ils se concevaient comme portefaix d’un héritage légué par leurs pères et remis à leurs propres fils, avec le souci de n’en rien laisser se perdre. Nous, en revanche, estimons qu’il n’y a rien à transmettre, quelques politesses, quelques humanités, rien qui vaille de se mettre en frais. Mais en refusant de reconnaître cet héritage qui nous vient de nos plus lointains aïeux, nous renonçons aussi à l’idée de destin. Nous nous consumons dans notre jouissance et consommons jusqu’à notre patrimoine. Après nous, il ne restera pas grand-chose à transmettre.

Des hommes privés de destin sont effrayés par la mort, ils n’ont plus le secours de penser que quelque chose restera d’eux, après. Le confinement s’explique en partie par la conscience de l’absence de destin. Nous sauver à tous prix, quitte à vivre dans la tétanie !

Les Romains de la République avaient un destin.

Lu dans Courrier International : un chien-robot est chargé de faire respecter la distanciation sociale dans un parc de Singapour. Les autorités justifient cette technologie par le fait que la surveillance du parc est plus aisée et n’expose pas les employés au risque sanitaire. Le chien se contenterait d’avertir les contrevenants à l’aide d’un message déclamé d’une voix féminine. Il n’est pas prévu qu’il morde !

Robert Guédiguian (source Troiscouleurs) : « Il faudrait concevoir un monde où il y ait plus de justice sociale et plus de respect de la nature. Il faut que nous pensions collectivement comment une répartition des richesses peut être établie de manière plus juste, et que ça soit accompagné d’une forme de sobriété, les pauvres étant par définition plus sobres que les riches puisqu’ils n’ont pas les moyens de consommer. Et que tout ça aille avec une réconciliation de tout ce que la terre nous a toujours offert. La diversité des produits, l’alimentation de proximité pour tous, pas avec des coûts exorbitants. Il n’y a pas de recette et ça ne se fera pas du jour au lendemain. Mais il faut que ça soit premier dans la réflexion. La clé, c’est la reprise en main de l’économie par la politique. Quand je dis « économie », je ne pense pas aux grands patrons, mais à la définition première : la gestion des ressources. Il faut donc que l’économie reprenne sa place, qui est seconde par rapport à la politique, celle-ci étant la volonté des hommes d’agir de telle ou telle manière. Il faut mille fois plus d’intervention partout, de la contrainte, casser les monopoles de toutes les grandes entreprises du monde. » Plus de justice, certes, qui est en désaccord avec cela ? Quant à « concevoir un monde où… », tout le problème est là ! Il n’est hélas pas en notre pouvoir d’en concevoir un, mais d’aucuns s’obstinent à continuer à le penser. Le monde, celui que nous connaissons, nous pourrons l’améliorer par petites touches, à commencer par la sélection des élites selon des compétences et non de la rhétorique. Notre monde va peut-être aussi mal parce que, depuis quelques siècles, les tribunes voient se succéder des orateurs qui parlent d’une destination sans jamais indiquer le chemin pour y parvenir.

 

11 mai_J+55_D

Esse est percipi aut percipere, prétendait le philosophe Berkeley. Je me précipite sur l’écran et déjà sites et réseaux sociaux déversent des tombereaux d’informations souvent redondantes. Leur ronde papillonne devant mes yeux comme un carrousel actionné par d’infatigables petits ânes. La France entre dans la période de déconfinement annoncé par le Pdt Macron et détaillé par son gouvernement. La vie lentement va reprendre, les uns jurant leurs grands dieux, plus jamais comme avant, les autres déplorant, comme avant en pire. Quelques médecins refusent désormais de prendre part aux applaudissements de vingt heures, ils prétendent n’avoir fait et ne faire que leur job. Les experts médicaux n’en continuent pas moins de s’interroger sur cette pandémie à propos de laquelle certains ont l’humilité de confesser leur ignorance. Les métros de Paris sont bondés comme avant, mais les commentateurs, sarcastiques, observent que la diminution du nombre de rames ne favorise en rien les distances interpersonnelles. Les habitants du littoral pourront à nouveau fouler les plages où jamais n’avait erré le moindre virus. Giorgio Agamden livre une réflexion désabusée sur le déni de la mort collective dans les sociétés contemporaines et ses conséquences probablement plus dramatiques que le risque sanitaire lui-même. La moitié de l’humanité a accepté un soudain gel de la vie sociale jusqu’au pape François dont l’illustre prédécesseur, le saint d’Assise ne se détournait pas d’embrasser les lépreux. La fréquence des voitures qui passent devant ma maison n’a pas véritablement augmenté mais peut-être les signes d’activités sont-ils plus marqués ailleurs. Esse est percipi. Je me tiens dans ma maison et si j’éteins l’écran, le déconfinement et toute sa prose disparaissent comme par enchantement, ne subsistent que le froissement des étoffes et le martellement de la pluie sur le toit. J’ai le projet de sortir mais je fais le compte préalable de toutes les précautions auxquelles je devrai me plier. Celles-ci sont certes nécessaires, la contamination est dangereuse pour un individu de ma catégorie sanitaire, cependant l’information sur les dangers est elle aussi virale. Aut percipere. Les membres de ma famille sont éparpillés sur le continent, dispersés par le paradigme de la mondialisation heureuse, je ne sais quand je les reverrai. Sans doute ai-je encore une existence dans leur mémoire, ainsi que dans celle des personnes que je fréquentais, mais l’interruption de la présence, telle la buée sur un miroir, menace celle-ci de pâleur, de flottement. Je multiplie les commentaires, articles, fictions et tribunes et je les sème à tous vents, à l’attention de qui voudra bien en prendre connaissance. Cependant, si les mots sont bel et bien issus de la chair vivante, ils sont eux-mêmes dépourvus de chair, invités à s’insérer dans la trame des esprits, telles des séquences formelles plus ou moins abouties. Les mots issus de ma chair appartiennent déjà au passé et n’attestent en rien mon existence. Les précautions que je suis invité à respecter me garantissent l’approvisionnement en oxygène non contaminé mais elles me privent de cet autre oxygène dont j’ai besoin pour exister. Ne suis-je pas en train de m’éteindre, telle une lampe qui vit sur ses réserves d’huile ? Esse est percipi aut percipere !

Le Point cite l’inventeur milliardaire Elon Musk selon lequel le langage bientôt serait obsolète. Une puce, un artefact technologique, implantée dans le cerveau, connecté à ses différents lobes, en communication wifi avec une intelligence extérieure… Le smartphone, non plus dans la main mais miniaturisé, greffé dans le cerveau, dépourvu de cet encombrant clavier virtuel qui exige de connaître un minium de grammaire et de vocabulaire ! Diable ! Dans les détails, vous dis-je.

 

12 mai_D+1

En 1938, CBS diffusa une adaptation radiophonique, talentueuse, de la Guerre des Mondes. Orson Welles fit alors preuve d’un réalisme qui déclencha des réactions de panique parmi les auditeurs. La Guerre des Mondes n’eut pas lieu, du moins à notre connaissance, la pandémie du Covid19, en revanche, ne laisse aucun doute quant à sa réalité et son ampleur. Cependant, les médias n’ont cessé de gagner en influence depuis Orson Welles et il n’est pas certain qu’une partie de la panique générée par la pandémie ne soit pas le fait de leur hégémonie et de leur puissance. Le déconfinement de la France a commencé hier et il faut bien mettre un terme à ce journal, quoique les motifs de sa tenue n’aient pas cessé. Il est probable aussi que dans les mois, voire les années, à venir, nous ne fassions le recensement des conséquences défavorables, voire désastreuses, à la fois de la pandémie et de la panique qu’elle a générée. Les membres de ma famille et moi-même sommes sains et saufs, nous touchons du bois, et nous avons l’intention de poursuivre les gestes barrière aussi longtemps que nécessaire. Je suis quant à moi un observateur non-expert des événements, plusieurs points cependant me semblent d’ores et déjà manifestes :

·        Le virus n’est pas le premier du genre mais sa diffusion est sans précédent.

·        La diffusion s’est appuyée sur la globalisation, l’interconnexion généralisée et planétaire des pays de type occidental, mais aussi sur la densité de la population mondiale et des pointes de densité dans certaines régions.

·        Il reste un doute aujourd’hui quant à son origine, naturelle ou issue du génie génétique.

·        Le virus voyage sans passeport mais les pays et entités qui ont été en mesure de rétablir rapidement leurs frontières ont eu une meilleure maîtrise de la contagion.

·        Il n’y a pas de remède à ce jour et il n’est pas certain, compte-tenu de la mutabilité, que la vaccination soit de quelque efficacité.

·        Il est possible que l’humanité entre désormais dans une ère de fort risque sanitaire et que d’autres pandémies ne surviennent.

·        La planète Terre est un écosystème apparemment stable et paisible, bucolique, mais en réalité instable, dangereux et menaçant. Les éruptions volcaniques, tsunamis, inondations, montée des eaux, etc. en témoignent.

·        A mesure que les risques grandissent, l’humanité semble paradoxalement s’installer dans un paradigme de permanence et de sécurité technologique, voire d’inconscience collective qui délègue à un ectoplasme nommé état-providence le soin d’assumer les risques.

·        Les groupes et pays dont la mémoire collective porte le souvenir de catastrophes ont fait preuve de réactions plus rapides et adaptées. Ces pays et groupes se plient assez aisément aux disciplines collectives nécessaires.

·        L’horreur inspirée par la mort collective semble mieux maîtrisée par les pays et groupes aux pratiques religieuses vivaces, la panique y est moins forte, la mort y fait encore partie de la vie.

·        Certaines démocraties occidentales ont pâti d’une impréparation et d’une absence inquiétante d’anticipation. Leurs pouvoirs publics ont fait preuve d’une réactivité faible et chaotique.

·        Confinement et quarantaine ne sont pas synonymes, le confinement est aveugle, la quarantaine est ciblée.

·        La tentation est grande de privilégier la sécurité au détriment des libertés et de mettre en place des systèmes de surveillance et de contrôle hyper réactifs, ce qui en entraîne une extension considérable du domaine de l’État, peu propice cependant aux autonomies locales, seules en mesure d’apprécier la réalité.

·        La technocratie est puissante, tentaculaire, conformiste, disciplinée. Sa puissance va de pair avec le désir d’état-providence.

 

 

1 Celle qui sait se projeter à moyen et long terme.

2 Souvent considérés comme des prophètes apocalyptiques, voire des charlatans, mais, en leurs temps, Orwell, Huxley ou Philipp K. Dick ont sans doute été affublés des mêmes épithètes

3 Selon un nombre croissant de témoignages de personnes proches du pouvoir, il apparait que ce dernier fonctionne en vase clos, avec une succession d’a-priori et d’oukases, le président et son entourage décident unilatéralement, les ministères sont mis en demeure de mettre en œuvre, et le réel contraint au chausse-pied indépendamment de la faisabilité. « Hors sol », s’exclame Mme Dumas, ex-députée macroniste (ici).

4 Dont l’un des effets est de prendre conscience de l’ampleur de ce qu’on ignore par rapport à ce que l’on croit savoir.

5 Cette compétence se rapproche bien plus de l’intelligence algorithmique capable d’analyser un grand nombre de données, selon des modèles mathématiques, et d’en déduire des synthèses et des conséquences, mais c’est précisément là où le bât blesse. En effet, la réalité n’est ni modélisable ni numérisable, et sa perception, son appréhension, sa compréhension relèvent autant de l’intuition que de l’intelligence. Aussi convient-il de limiter les schémas intellectuels et théoriques, de limiter les instruments de mesure à surveiller, et de s’en remettre pour une grande part à l’intuition, mais cela suppose une culture, un aplomb, un recul, une attitude méditative et que sais-je d’autre, toutes dispositions d’esprit qui, en apparence, semble ne pas s’acquérir dans nos prestigieuses écoles de management et d’administration.

6 On lui prêterait ce propos : « La parole politique est performative », ce qui ne veut pas dire grand-chose ou plutôt : le contenu de la parole politique est interchangeable a posteriori.

7 Le 25 mai 1940, il aurait tenu ce propos : « La France a commis l’immense erreur d’entrer en guerre en n’ayant ni le matériel qu’il fallait, ni la doctrine militaire qu’il fallait. », source Documents secrets de l’État-major général français.

8 L’étrange défaite

9 Les Décombres, livre injustement mis sous le boisseau amnésique par un aveuglement idéologique qui consiste à jeter le bébé avec l’eau du bain, à considérer comme irrecevables les contributions éclairées d’un homme par ailleurs compromis

10 Ne pas tenir compte des alertes, perdre un temps précieux, confiner un pays entier pendant une longue période et le priver des ressources économiques nécessaires à son rebond, générer des situations dramatiques, plutôt que d’identifier à temps et disposer, ou se mettre en situation de disposer, d’outils pour mettre en quarantaine les individus contaminés, comme cela a été fait du reste en Allemagne, au Vietnam, en Corée et peut-être même en Chine.